Le Club de la Transplantation a tenu sa réunion annuelle à Lille, en février dernier, sur le thème de l'“immunothérapie en transplantation”, et nous avons choisi de dédier ce numéro du Courrier aux principales communications présentées lors de ces 2 journées.
En dehors de l'exceptionnelle situation de jumeaux univitellins ou d'une transplantation rénale provenant du même donneur qu'une greffe de moelle antérieure (1), la transplantation nécessite un traitement immunosuppresseur au long cours, astreignant pour le patient, coûteux pour la société et responsable de complications bien connues, comme les infections et les cancers, mais aussi des complications spécifiques aux molécules administrées, telles que la néphrotoxicité, l'hypertension, le diabète, etc. L'obtention d'une tolérance définitive sans aucune prise de traitement immunosuppresseur au long cours (si souvent caractérisé comme le Saint Graal de la transplantation) n'a pu aboutir que chez un nombre très limité de patients grâce à une procédure lourde de transplantations combinées de rein/moelle effectuées pour des patients insuffisants rénaux présentant un myélome. La pertinence de cette stratégie est donc démontrée, sa faisabilité prouvée, mais elle comporte une toxicité liée au conditionnement, un risque de réaction du greffon contre l'hôte (GVH) et, finalement, un risque de mortalité non acceptable pour des patients sans hémopathie. Cette approche ne sera pas abordée ici bien qu'elle reste active grâce à des efforts de recherche pour diminuer l'agressivité des conditionnements et/ou modifier les populations cellulaires injectées (2).
Nous retrouvons, à l'opposé de cette stratégie très interventionnelle, un axe de recherche dont le but est de caractériser les transplantés spontanément tolérants (présentation d'Alberto Sanchez-Fueyo), c'est-à-dire ceux présentant un bon fonctionnement du greffon avec une stabilité observée depuis au moins 1 an après l'arrêt complet des traitements immunosuppresseurs. Cette situation de tolérance opérationnelle est parfois le fait d'une non-adhésion thérapeutique, mais elle est surtout rapportée après un arrêt de l'immunosuppression lié à l'apparition d'un cancer ou d'un désordre lymphoprolifératif. Après transplantation rénale, cet état transitoire est en fait rarement rapporté (3,9/10 000 en France [3]). Il est plus fréquent après transplantation hépatique (20 % de receveurs [4]), la probabilité de son obtention augmentant avec le recul post-transplantation (jusqu'à 80 % après 11 années de greffe). Les tentatives d'arrêt de calcineurine chez des transplantés rénaux stables et hautement sélectionnés (représentant moins de 1 % de la cohorte des patients suivis) sur des critères d'un faible risque immunologique ont pour le moment échoué (5). En transplantation hépatique, les résultats de plusieurs protocoles d'arrêt progressif des immunosuppresseurs, fondés sur une sélection clinique (absence de rejet, d'infection virale, de maladie auto-immune hépatique initiale, histologie normale et surtout recul par rapport à la transplantation d'au moins 3 ans), ont montré qu'environ 42 % des patients atteignaient le stade de tolérance opérationnelle. Plus récemment, l'identification de biomarqueurs (immunophénotypage, profil d'expression de gènes) et la construction de scores différenciant le statut de “tolérant” de celui de “stable” sous immunosuppression (6) devraient permettre de mieux définir et d'encadrer la population cible pour une diminution d'immunosuppression. Néanmoins, l'impact global de cette stratégie risque, dans la “vraie vie”, d'être décevant, notamment pour les transplantés rénaux, en raison du très faible nombre de patients sélectionnables.
Les perspectives d'amélioration de la prise en charge des receveurs par le développement de nouveaux médicaments immunosuppresseurs semblent très limitées et se résument pour l'essentiel aux blocages de la costimulation. Le développement de l'immunothérapie avec en particulier l'immunothérapie cellulaire est donc un axe novateur et pertinent pour envisager au moins une minimisation des traitements actuels. L'intérêt de différents types de populations cellulaires immunorégulatrices a été mis en évidence par les modèles expérimentaux de transplantation ; ils sont actuellement à l'essai en clinique.
Le consortium international ONE Study (présentation d'Edward Geissler) explore l'intérêt thérapeutique, dans le cadre de transplantations rénales issues de donneurs vivants non HLA identiques, de différents types de cellules immunorégulatrices dont les lymphocytes T régulateurs (Treg) polyclonaux, des Treg spécifiques, les macrophages régulateurs (Mreg), les cellules Tr1 et les cellules dendritiques tolérogènes (CD-Tol). Ce consortium a construit un groupe contrôle commun (n = 70) et propose différents groupes expérimentaux avec des schémas d'injection de cellules variables mais avec une même immunosuppression et un même suivi immunologique post-transplantation. Cette stratégie devrait permettre des comparaisons et des conclusions solides entre les différents traitements expérimentaux. Actuellement, 36 patients ont été traités, et 9 sont sous tacrolimus en monothérapie. La tolérance des injections semble bonne, et le taux de rejet est actuellement similaire entre les patients des groupes expérimentaux et ceux du groupe contrôle (16,6 versus 14,8 %), avec un peu moins d'infections dans les groupes expérimentaux.
Les Treg sont aussi utilisés après transplantation hépatique en association avec des protocoles d'immunosuppression différents et des résultats plus avancés (présentations de Giovanna Lombardi et de Kenichiro Yamashita). L'équipe japonaise a montré que l'administration de Treg a permis l'arrêt de tout traitement immunosuppresseur 18 mois après la transplantation pour 7 patients sur 10 traités. Des améliorations des résultats sont attendues par l'utilisation de Treg plus immunosuppresseurs comme des Treg spécifiques du donneur ou modifiés avec la technologie des CAR (Chimeric Antigen Receptor) Treg (le Treg est alors porteur d'un récepteur supplémentaire spécifique d'un antigène HLA donné). De plus, à l'opposé de ce qui est décrit chez la souris, la population des cellules Treg humaines est hétérogène (présentation de Guy Gorochov). La population classique CD4+CD25+Foxp3+ représente effectivement un ensemble de cellules contenant des Treg naïves et effectrices mais aussi un certain nombre de cellules T conventionnelles non immunosuppressives. La mise en évidence récente d'un nouveau marqueur cellulaire de surface (CD15s) très spécifique des cellules Treg effectrices représente donc un outil très important pour affiner le tri cellulaire et permettre d'augmenter l'efficacité des cellules injectées dans le cadre de ces essais de thérapie cellulaire après transplantation.
Les cellules souches mésenchymateuses (CSM) sont un autre type de cellules utilisables en immunothérapie. Très pluripotentes, elles possèdent un rôle trophique, des capacités de régénération (en particulier aux niveaux osseux, cartilagineux et vasculaire) et des propriétés immunomodulatrices et anti-inflammatoires. Les CSM sont séduisantes pour de nombreuses situations pathologiques, elles sont d'ailleurs utilisées depuis plus de 10 ans et au moins 700 essais cliniques ont été enregistrés jusqu'à aujourd'hui (présentation de Gautier Robin). Mais comme il existe de nombreuses sources de production de ces cellules (moelle osseuse, tissu adipeux, liquide amniotique, pulpe dentaire, etc.), leurs caractéristiques fonctionnelles peuvent être variables et rendre l'interprétation et la comparaison des résultats des différents protocoles difficiles. En transplantation d'organe, les CSM sont capables d'atténuer des lésions d'ischémie reperfusion et d'accélérer des processus de régénération par des mécanismes paracrines plus que par un remplacement des cellules lésées. Il a été montré, par exemple, qu'in vitro les CSM étaient capables d'engendrer la formation de néovaisseaux et que le surnageant de leurs cultures augmentait la survie des cellules endothéliales. In vivo, dans des modèles précliniques, chez le porc, les CSM autologues dérivées du liquide amniotique injectées par voie intra-artérielle à J6 d'une autotransplantation rénale diminuent les lésions de fibrose interstitielle observées à 3 mois (7). L'analyse du sécrétome de ces cellules a permis d'identifier de nombreux facteurs solubles ayant un rôle immunomodulateur et/ou anti-inflammatoire, ce qui pourrait permettre d'envisager la mise au point de traitements lors des phases de préservation ex vivo des organes sur machine de perfusion (en subnormothermie), en particulier pour les greffons les plus fragiles (donneurs à critères étendus, donneurs décédés par arrêt circulatoire). Le rôle immunomodulateur des CSM a été bien mis en évidence dans de nombreux modèles animaux de maladies auto-immunes et, plus récemment, chez l'homme, principalement pour le traitement de la réaction du greffon contre l'hôte réfractaire (8), mais aussi pour quelques cas de syndrome de Gougerot-Sjögren, de lupus aigu disséminé et de maladies inflammatoires digestives. Dans ces pathologies, de nombreuses études sont en cours pour définir le type de CSM le plus efficace ainsi que les protocoles d'administration (timing, dose, origine auto/allogénique, etc.).
Le consortium international MISOT (présentation d'Antoine Durrbach) développe la place des CSM en transplantation d'organe. L'expérimentation animale avait montré la capacité de ces cellules à induire une tolérance spécifique du donneur et à stabiliser la progression du rejet chronique chez le rat, mais il a aussi été démontré que la dose et le timing de l'administration étaient très importants pour éviter une migration des cellules au niveau du greffon et créer une réaction inflammatoire à l'opposé du but recherché. Les différents essais cliniques montrent que l'administration de ces cellules (1 à 2 millions de CSM/kg) est bien tolérée à court terme. Plus récemment, une étude chinoise ayant randomisé 159 patients a montré que l'administration de CSM autologues à J0 et à J15 de la transplantation était associée à une diminution de la fréquence du rejet aigu à 6 mois (7,5 versus 21 %, sous réserve d'une forte incidence du rejet dans le groupe contrôle), une diminution des complications infectieuses et une meilleure fonction rénale à 1 an.
Nous en sommes donc actuellement aux balbutiements de ces approches menées avec différents types de cellules immunorégulatrices et, bien évidemment, de nombreuses questions restent en suspens : quelle est la meilleure cellule, à quelle dose et à quel moment l'injecter, avec quelle fréquence, et dans quel environnement immunosuppresseur initial, etc. ? Face à l'augmentation des essais avec des cellules d'origine humaine, la réglementation concernant les essais de thérapie cellulaire a beaucoup évolué, définissant ainsi la classe des “médicaments de thérapie innovante” (présentation de Nicolas Ferry). Si les essais thérapeutiques utilisant des médicaments classiques sont devenus moins novateurs, ceux reposant sur une thérapie cellulaire sont en train d'émerger et devraient être prometteurs car, si l'objectif de la tolérance est passé au second plan, ces stratégies devraient permettre au moins d'alléger significativement le poids des traitements immunosuppresseurs, et donc leur toxicité, chez les receveurs de transplantation d'organe.■