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Éditorial

Des fins de vie ordinaires, enfin ?


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Il est aujourd'hui courant que des personnes recevant, de très longue date, un médicament de substitution aux opiacés (MSO) se trouvent admises en unité de soins palliatifs. Cette situation peut correspondre à la prise en charge de leur fin de vie ou à l'ajustement d'un traitement antalgique dans le cadre d'un processus néoplasique. À chaque fois, le pronostic vital est engagé, à plus ou moins court terme, et diverses observations semblent se retrouver.

D'abord, à propos du soutien que ces personnes recherchent dans un tel recours. La forme de leur appel convoque en effet des interactions bien connues. Celle d'un appui étayant qui recouvrirait non seulement le désir de ne pas souffrir physiquement, mais aussi celui d'être entouré avec attention, porté sinon contenu, par l'ensemble des moyens du dispositif palliatif. On pourrait ajouter la vive incitation formulée par ces patients à tenir compte de leur histoire, à engager un dialogue avec leur praticien addictologue référent, à tenir compte des demandes parfois singulières de leur entourage. Apparaît ainsi la continuité de leur nécessité essentielle : être accepté tel quel, en entier, malgré les multiples effractions que le corps connaît.

On observe aussi des positions d'immobilité, des attitudes de gisant. Les gestes sont rares, économisés, réduits aux déplacements les plus simples. Une main pour attraper un objet, un discret glissement dans le lit. Lorsque c'est possible, un court trajet mène vers un lieu où une cigarette peut être consommée, aspirée par les bords d'une bouche sans mouvement.

L'entrée d'un soignant dans la chambre est accueillie avec la raideur d'un discret sourire ou d'une vague grimace. L'échange est d'abord consacré au degré de confort ressenti. Lorsqu'une certaine confiance s'établit, on parle de la douleur, de l'histoire de vie difficile, de la radicalité des relations familiales. Tout cela est dit dans un même paysage, brièvement évoqué, sans apparent besoin d'établir un lien privilégié. Il émerge pourtant chez ces soignants habitués à toucher les corps, des impressions fugaces ou parfois des convictions que certaines scènes traumatiques ne sont pas si loin.

Et puis la question de la douleur surgit encore. Volontiers atypique, rarement rapprochée d'une cause explicite, elle peut siéger loin du processus cancéreux tandis qu'une masse apparemment compressante ou infiltrante ne suscite aucun commentaire. Ce qui prime est la permanence des grandes fonctions physiologiques : le sommeil, l'appétit, le transit, la sensation d'avoir froid… ou trop chaud. Il faut alors expliquer aux équipes soignantes combien ces sensations sont importantes, ce qu'elles imposent de renoncement à l'idéal du soin, ce que le mot “régression” ne parvient pas à résumer, ce qui fait écho aux entours accompagnant la prise de toxiques.

Il y a enfin ces évocations constantes d'un autre lieu, d'un ailleurs où quelque chose pourrait se régler. Retourner dans un service plus incisif envers la maladie, partir en province auprès d'un enfant, rentrer chez soi avec de nouvelles aides. Dans ces moments, l'enjeu est celui de modérer les activismes inutiles, d'envisager aussi ces discours comme autant de métaphores et de réfréner la tendance naturelle de l'entourage à énoncer trop vivement ce qui n'est plus envisageable.

Dans ce petit quotidien fondamental, ces moments d'attention révèlent que la vie a pu longtemps se continuer avec les produits substitutifs et que le dernier lieu d'un parcours de soin ordinaire a pu être atteint. Il restera tout de même à bénéficier de traitements pharmacologiques adaptés bien que plusieurs paramètres y fassent encore obstacle.

L'ambivalence des prescripteurs organise peut-être certaines contraintes. Elle tient d'abord à l'inquiétude de proposer des produits opioïdes : les molécules à court délai d'action disponibles aujourd'hui ont, pour certains, des propriétés pharmacocinétiques aussi addictives que la morphine. Il y a également l'ignorance sur le maniement de la méthadone (par exemple) dans ces situations spécifiques et sur les éventuels dangers de son association avec des morphiniques.

Dans tous ces cas, le spectre de l'induction d'une dépendance ou celui d'agir en risquant de déséquilibrer le patient et de le précipiter dans le manque conduisent à hésiter, à revenir sur une option, à alterner des stratégies. Lorsque s'ajoute le contexte d'un projet de vie au domicile, survient aussi la crainte d'un mésusage, voire la peur d'une overdose.

Et pourtant, ces praticiens savent que les douleurs chez des personnes traitées par des MSO peuvent relever de diverses explications : la pathologie elle-même, l'hyperalgésie induite par les opiacés avec l'abaissement du seuil de déclenchement de la douleur, la tolérance induite à d'autres antalgiques. Ils savent aussi que lorsque la consommation de MSO est réduite à une prise par jour, l'effet sur le manque qui couvre tout le nycthémère ne décrit pas l'effet antalgique qui dure seulement 4 à 8 heures. Ils connaissent enfin, et savent gérer, le risque faible de dépression respiratoire pour l'association de la méthadone avec d'autres opiacés.

Sans doute faut-il envisager que les médecins de soins palliatifs puissent craindre, avec la plainte douloureuse, une occasion d'obtenir davantage d'opiacés. Les bolus de produits délivrés par les infirmières sont d'ailleurs parfois évoqués “comme un shoot”. On pourra cependant objecter que ces praticiens sont parfaitement convaincus de l'importance d'une prise en charge suffisante de la douleur. Ils entendent réduire ainsi la majoration des accès anxieux et améliorer la qualité de l'alliance thérapeutique.

Alors, il faut parfois admettre que le destin du “toxicomane” en unité de soins palliatifs se confonde avec sa dénomination. Il est un consommateur de stupéfiants avant d'être un sujet et cette situation correspond, peu ou prou, à sa tendance, renouvelée sans cesse, à éviter toute élaboration psychique. Écoutons tout de même l'articulation de ce “non-dit” : il renferme l'ébauche d'une dialectisation qui, soutenant que l'homme est douloureux donc mortel, admet l'incertitude du destin de chacun.


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J. Pellerin déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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