En France, la prévalence de la douleur chronique, toutes intensités confondues, dans la population générale est évaluée à 32 % (1). Une étude française multicentrique, présentée en avril 2017 au congrès de la Société française de pharmacologie et thérapeutique, a évalué cette prévalence chez des patients ayant reçu un médicament de substitution aux opioïdes (MSO) [2]. Comparativement à des tranches d'âge équivalentes en population générale, la douleur chronique est plus fréquente chez les “patients MSO” : 28 % des 25-34 ans et 37 % des 35-49 ans, versus, respectivement, 21 % et 26 % en population générale. Des comorbidités plus fréquentes, des conduites plus à risque sous l'emprise de substances, un accès aux soins plus tardif, voire une hypersensibilisation à la douleur induite par les opioïdes sont une partie des explications de cette prévalence plus élevée dans cette population.
La douleur du sevrage, une douleur chronique évitable
Seize à 20 % des patients sous MSO et douloureux chroniques rapportent une douleur associée au syndrome de sevrage en opioïdes. Cette douleur spécifiquement liée au manque peut être quotidienne et avoir les mêmes conséquences qu'une douleur chronique sur l'humeur, le sommeil, la vie professionnelle et sociale. Ces patients sont plus à risque de consommer des substances illicites pour soulager cette douleur, mais aussi des médicaments psychotropes, en commençant par les benzodiazépines. Contrairement à une douleur chronique (ostéo-articulaire, neuropathique, etc.), la douleur du manque est évitable, soit par l'ajustement de la posologie du médicament de substitution, soit par une analyse plus fine des consommations associées d'opioïdes illicites ou non prescrits. On peut aussi aider le patient à percevoir les conséquences de ces dernières sur sa symptomatologie douloureuse, sur les fluctuations de posologie de son MSO et l'accompagner vers un changement dans ses usages d'opioïdes.
Le fractionnement de la posologie journalière : un marqueur de douleur chronique ?
Le fractionnement dans cette étude est plus fréquent chez les patients traités par buprénorphine : outre le manque, les troubles du sommeil et l'anxiété qui les atteignent, 12 % d'entre ces patients fractionnent pour soulager une symptomatologie douloureuse. Le fractionnement concerne 24 % des patients sous MSO douloureux, versus 7 % chez les non-douloureux. Il est important de rechercher ce fractionnement pour définir ce qui pourrait relever, au-delà de la recherche d'un effet récréatif, d'une part d'une gestion du manque, et d'autre part du soulagement d'une réelle douleur chronique.
Du double au triple diagnostic
La notion de “dual diagnosis” est bien connue des addictologues et des algologues. Plus des 2/3 des patients douloureux ou dépendants présentent aussi des troubles psychologiques. Les comorbidités psychiatriques et les consommations de médicaments psychotropes, notamment de benzodiazépines, sont plus fréquentes chez ces patients douloureux chroniques. Chez eux, la dimension anxieuse est statistiquement associée à la douleur chronique. Les équipes soignantes sont donc confrontées à la prise en charge de patients avec un triple diagnostic : dépendance, trouble mental et douleur, dont les différentes dimensions s'entretiennent les unes les autres.
Vers des consultations pluridisciplinaires
Pour soulager ces patients aux pathologies multiples, comme dans les doubles diagnostics, il semble illusoire de vouloir stabiliser les conduites addictives, l'humeur et le sommeil et de réduire les prescriptions de benzodiazépines, sans associer un algologue à la prise en charge. Le modèle des consultations pluridisciplinaires, bien connu en cancérologie, faisant intervenir addictologues, psychiatres ou psychologues et algologues, permettrait d'établir des stratégies thérapeutiques concertées plus pertinentes. Il aurait aussi pour conséquence un accroissement de la compétence des équipes respectives sur le dépistage, l'évaluation et le traitement des comorbidités addictives ou de la douleur chronique.