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Éditorial

Quelles régulations de la consommation de cannabis dans les États américains qui l'ont légalisée ?


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Depuis le Colorado en 2012, sept États américains ont légalisé la consommation récréative de cannabis : État de Washington, Oregon, Alaska, Californie, Maine, Massachusetts et Nevada, auxquels s'ajoute la capitale fédérale Washington DC. Les principales raisons de la légalisation sont la protection des libertés individuelles, l'inutilité de punir les consommateurs dépendants, l'assèchement du marché noir, les sondages favorables et la possibilité de taxer les profits engendrés par la production et la vente de cannabis. En outre, 29 États ont légalisé l'usage thérapeutique du cannabis. Loin d'une dérégulation complète où tout serait permis, les États américains qui ont légalisé ont prévu des mesures de régulation sur l'offre et la demande pour limiter les risques induits par la consommation (1).

Information des consommateurs et des professionnels

Ces États ont mené des campagnes d'information des usagers sur les risques de dépendance, d'effets nocifs sur la mémoire, sur l'attention, sur l'apprentissage, sur les résultats scolaires, etc. L'information à l'attention des professionnels a aussi été développée, en particulier pour les gynécologues/obstétriciens, les médecins urgentistes, en raison d'une hausse des admissions d'environ 35 % aux urgences pour des problèmes liés au cannabis : attaques de panique, états délirants aigus, nausées, vomissements, pics hypertensifs, tachycardie, pneumothorax, etc. (2, 3).

Interdiction de la consommation chez les jeunes

La consommation et l'achat de cannabis demeurent interdits aux moins de 21 ans dans tous les États qui ont légalisé le cannabis. En effet, de nombreuses études ont retrouvé que les risques de dépendance, de troubles cognitifs, de conduites suicidaires et de troubles psychotiques étaient plus élevés chez les sujets qui avaient consommé du cannabis précocément (2, 4). L'augmentation des intoxications accidentelles chez les enfants, observée au Colorado depuis la légalisation de 2012, a conduit à favoriser des conditionnements adaptés.

Limitation des quantités et des lieux de consommation

Dans la plupart des États qui ont légalisé, la consommation reste interdite dans les lieux publics, à l'instar de l'alcool et du tabac. Les quantités de cannabis vendues sont en général limitées à une once (28,4 grammes), mais peuvent varier selon les États. Seul le Colorado a introduit des restrictions pour les non-résidents qui ne peuvent obtenir qu'un quart d'once (7 grammes). Tous les États permettent la culture à domicile, sauf celui de Washington. Le seuil de production autorisé est généralement limité à un seuil compris entre 3 et 6 plants prêts à être récoltés (jusqu'à 12 par foyer) [4]. Les études épidémiologiques ont cependant retrouvé chez les adultes une augmentation modérée (12 %) de la consommation dans les États ayant légalisé le cannabis (5).

Contrôle des taux de THC dans les échantillons commercialisés

Les taux de Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC), principal principe actif du cannabis, peuvent varier considérablement d'un échantillon à l'autre. Ils sont passés d'environ 4 % au début des années 1970 à près de 15 % actuellement, voire de 25 à 30 % dans certains échantillons (2). En outre, les consommateurs peuvent trouver illégalement des spécialités contenant 40 à 90 % de THC (“butane hash oil”, “wax”, “shatter”, “budder”). Plusieurs États ont commencé à limiter les taux de THC dans les échantillons de cannabis commercialisés, variables selon les États, et à les mentionner, à l'instar du degré d'alcool pour les boissons qui en contiennent ou des taux de nicotine et de goudrons pour les cigarettes (4). Cependant, ce n'est pas le cas dans tous les États (6).

Prévention sur la route

Il est aujourd'hui bien établi que la consommation de cannabis favorise les accidents de la route (2). Les autorités du Colorado recommandent de ne pas prendre le volant, ou un deux-roues, moins de six heures après avoir consommé jusqu'à 35 mg de THC. Néanmoins, plus de la moitié des consommateurs ne respectent pas cette limitation (3). Ainsi, une augmentation de 66 % du nombre d'accidents liés au cannabis a été observée depuis la légalisation (3).

Cannabi$$$

Très variables selon les États, les taxes générées par la commercialisation permettent de réguler les ventes. Cependant, plus les taxes sont élevées, plus le marché noir perdure (1). Actuellement, la régulation de la publicité pour le cannabis est variable selon les États. Au dernier congrès de l'American Psychiatric Association (APA), à New York en mai 2018 (lire p. 26), plusieurs orateurs ont exprimé leurs inquiétudes devant la constitution d'un lobby du cannabis de plus en plus puissant et disposant d'importants moyens financiers. L'exemple du récent congrès de la National Cannabis Industry Association, quelques semaines avant le congrès de l'APA, au même endroit, en atteste. Les intérêts de ce lobby sont de promouvoir le “cannabusiness”, soit un terme recouvrant la production et la commercialisation du cannabis (4). Les mêmes techniques de marketing que celles des lobbies du tabac et de l'alcool commencent à être utilisées, avec une association de la consommation de cannabis à des images de jeunesse, de liberté, de convivialité et de santé. On voit déjà de tels messages apparaitre sur de grands panneaux publicitaires le long des autoroutes américaines. C'est aussi la minimisation systématique des effets nocifs induits par le cannabis, notamment le risque de dépendance : plusieurs orateurs ont rappelé à cet égard l'épisode de 1994, où les patrons de l'industrie du tabac avaient juré devant le Congrès américain que le tabac n'induisait pas d'addiction. Plusieurs psychiatres et addictologues soulignent les risques d'un marketing agressif de “Big Cannabis” visant notamment les jeunes, les femmes et les sujets vulnérables, si la légalisation devient fédérale (4).

Conclusion

La régulation par la prévention est la plus efficace, mais la régulation de l'offre est souvent contournée et risque d'être limitée par le lobby du cannabis. Plusieurs auteurs ont plaidé pour que la légalisation du cannabis s'accompagne d'un renforcement de l'offre de soins pour les sujets dépendants, notamment par une redistribution des taxes générées par la commercialisation. Néanmoins, ces dispositions restent partielles dans le Colorado ou encore l'État de Washington (1). L'exemple de l'alcool et du tabac sur le financement de la prévention et des soins n'est guère encourageant à cet égard. Voilà quelques données et réflexions utiles pour les pays qui débattent ou modifient le statut légal du cannabis, tel le Canada actuellement.

Références

1. Obradovic I. Actualité de la régulation du cannabis aux États-Unis. OFDT, Note n° 2017-02. Saint-Denis, 2017.

2. Compton WM, Volkow ND, Lopez MF. Medical marijuana laws and cannabis use. Intersections of health and policy. JAMA Psychiatry 2017;74:559-60.

3. Rocky Mountain Hidta Strategic Intelligence Unit. The legalization of marijuana in Colorado: The Impact 2017. https://www.rmhidta.org/html/FINAL%202017%20Legalization%20of%20Marijuana%20in%20Colorado%20The%20Impact.pdf

4. Budney AJ, Borodovsky JT. The potential impact of cannabis legalization on the development of cannabis use disorders. Prev Med 2017;104:31-6.

5. Hasin DS, Sarvet AL, Cerdá M et al. US adult illicit cannabis use, cannabis use disorder, and medical marijuana laws: 1991-1992 to 2012-2013. JAMA Psychiatry 2017;74:579-88.

6. Gostin LO, Hodge JG Jr, Wetter SA. Enforcing federal drug laws in states where medical marijuana is lawful. JAMA. 2018;319:1435-6.


Liens d'intérêt

L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec AstraZeneca, Janssen, Lundbeck, Indivior, Otsuka,  sans rapport avec cet article.

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