Tantôt présentée comme une réponse aux problématiques de démographie médicale et d'accès aux soins, tantôt dénoncée comme un outil de déshumanisation de la médecine, la télémédecine (TM) fait désormais partie intégrante de l'offre de soins.
Un cadre réglementaire et financier
Le cadre juridique de la TM a été posé par l'article 78 de la loi HPST du 21 juillet 2009, qui a intégré la définition de la TM dans le code de la santé publique (article L6316-1). Le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 a peu après défini 5 actes de TM, ainsi que les conditions de sa mise en œuvre et son organisation. Ont ainsi été distingués :
- la téléconsultation (TLC), qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ;
- la téléexpertise (TLE), qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de solliciter à distance l'avis d'un ou de plusieurs professionnels médicaux ;
- la télésurveillance médicale ;
- la téléassistance médicale ;
- la réponse médicale dans le cadre de la régulation médicale.
Plus récemment, l'arrêté du 1er août 2018 a sorti la TM du seul cadre de l'expérimentation en établissant les conditions de remboursement des actes de TLC et de TLE. Ainsi intégrés à la nomenclature de l'Assurance maladie, ces actes peuvent désormais être effectués par les professionnels de santé dans le cadre du droit commun.
Des bénéfices pour le parcours de soins en psychiatrie et en addictologie
En dépit des réserves exprimées par certains professionnels, la TM a pu démontrer son intérêt dans ces disciplines, comme en attestent les multiples expérimentations effectuées ces dernières années dans le champ sanitaire et médicosocial. Dédiée à la psychiatrie, l'addictologie et la nutrition, la plateforme de TLC Doctoconsult (devenue Doctopsy) a par ailleurs obtenu, dès 2016, un remboursement dérogatoire de ses actes.
L'intérêt de la TLC en psychiatrie et addictologie tient d'abord au fait que, dans ces spécialités, les consultations s'appuient principalement sur l'entretien et l'observation du patient. L'absence d'examen physique n'est pas rédhibitoire et, lorsqu'il s'avère nécessaire, des solutions peuvent s'envisager (nouvelle consultation en présentiel ou examen physique par un médecin de proximité, médecin traitant principalement), sachant que les examens paracliniques peuvent être prescrits au cours de la TLC.
Mais le principal intérêt de la TLC est de favoriser l'accès aux soins et de contribuer à éviter les ruptures de parcours en facilitant la coordination interprofessionnelle.
L'accès aux soins
Si les habitants des territoires dotés d'une faible densité médicale peuvent être considérés comme les premiers utilisateurs potentiels de la TLC, d'autres populations peuvent également bénéficier de cette facilité. Il peut s'agir de personnes ayant un problème de mobilité, qu'il soit d'ordre physique ou lié à des symptômes psychiatriques : TOC, phobie des transports ou apragmatisme, par exemple. Pour certains, la crainte d'être vu et reconnu en consultation de psychiatrie ou d'addictologie peut également constituer un frein à la prise de rendez-vous. Les personnes “captives” de certaines structures (prisons, Ehpad, services d'hospitalisations de MCO), ou ayant des obligations personnelles, principalement professionnelles, qui ne leur permettent pas de se déplacer aux heures habituelles de consultation, peuvent aussi bénéficier de la TLC.
La coordination interprofessionnelle
Les prises en charge psychiatriques impliquent souvent l'établissement de coopérations entre professionnels de santé ou du champ médicosocial. La TLE peut permettre de pallier la faible disponibilité des ressources en spécialistes et de structurer la communication entre intervenants, dans la mesure où elle donne systématiquement lieu à un compte rendu.
Son utilisation paraît particulièrement pertinente dans 2 types de situations. Il s'agit tout d'abord des situations “complexes” impliquant des problématiques psychiatriques, addictologiques et psychosociales, auxquelles sont fréquemment confrontés les médecins généralistes de ville. Il s'agit également des troubles présentés par certaines personnes hébergées dans un établissement médicosocial (Ehpad, établissements pour personnes handicapées, etc.), face auxquels les personnels référents se trouvent bien souvent démunis. Dans ces situations, la TLE peut permettre aux requérants (médecins généralistes, établissement médicosocial) d'obtenir un avis spécialisé rapide et formalisé sur la conduite à tenir, le traitement ou l'orientation. La TLE peut, par ailleurs, comporter un temps d'échange entre le requis (le spécialiste) et le patient. Une TLE “en présence du patient” peut alors constituer un primocontact susceptible de favoriser l'engagement dans un suivi spécialisé de patients qui y étaient jusqu'alors opposés.
Les psychologues n'étant pas des professionnels de santé, se trouvent de ce fait exclus du cadre actuel de la TM. Leurs interventions dans les parcours de santé mentale sont toutefois essentielles, et ils sont reconnus, depuis 2016, comme des acteurs de la mise en œuvre de la politique de santé mentale (article L3221-1 du CSP). Leur participation aux activités de TM devrait, de ce fait, être reconnue par les futures réglementations.
De façon plus globale, la TM peut également être considérée comme un service susceptible de participer au déploiement des “parcours numériques” ou “e-parcours”, qui s'appuient sur des outils tels que les messageries sécurisées, les systèmes d'information propres aux hôpitaux et aux professionnels de ville, les plateformes territoriales de coordination, d'échange et de partage d'informations numériques, ou encore le dossier médical partagé en cours de déploiement au niveau national. L'interfaçage de la TM avec cet ensemble de services devrait permettre d'améliorer le service rendu, tout en facilitant la coordination des soins entre professionnels.
La fracture numérique
Fréquemment exclues du système de santé et de l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC), les personnes en situation de précarité ont, de facto, peu accès aux outils de la TM. L'équipement de locaux accessibles, au sein de leurs lieux d'hébergement, de centres de santé, voire de pharmacies, pourrait permettre d'organiser, avec leurs accompagnants, un premier accès aux soins.
Une autre forme de fracture numérique concerne les structures et les professionnels de santé. Si l'investissement financier nécessaire à l'acquisition des équipements techniques peut être considéré comme un premier obstacle à l'engagement dans la TM, les résistances des professionnels à ce nouveau paradigme culturel ne sont pas négligeables. Elles devraient toutefois se réduire avec les nouvelles générations, particulièrement accoutumées à l'usage des TIC.
Un exemple de projet territorial : le projet TEPAPS
Le projet TEPAPS (télémédecine en psychiatrie et addictologie Paris-Sud) a été élaboré à l'instigation de 3 principaux acteurs : le service de psychiatrie universitaire de Bicêtre (AP-HP), le GHT Psy Sud Paris et la Maison des addictions, des troubles mentaux et de la santé 94 ouest (MCATMS 94 ouest), qui regroupe des réseaux de santé en psychiatrie et en addictologie et une structure de prévention en addictologie.
Ce projet a pour objectif de développer, sur le territoire du sud francilien, un dispositif de TM ville-hôpital coordonné, dans le champ de la psychiatrie et de l'addictologie. Soutenu par l'ARSIF et l'AP-HP, il s'appuie sur l'expertise du groupement de coordination sanitaire (GCS) Sesan. Entré dans sa phase pilote au cours du deuxième trimestre 2019, il a permis d'initier une activité de TLC et de TLE articulée à la plateforme Terr-eSanté.
- L'activité de “TLC directe”, engagée par le service de psychiatrie de Bicêtre, permet ainsi à certains patients de bénéficier de consultations psychiatriques à partir de leur domicile.
- L'activité de TLE est destinée à 3 grandes catégories de requérants :
– les établissements médicosociaux dédiés à l'accueil des personnes handicapées (GHT Psy Sud Paris) ;
– la plateforme territoriale d'appui (PTA) 94 ouest qui, pour certains de ses cas complexes, sollicite des expertises psychiatriques et addictologiques auprès de la MCATMS ;
– les médecins généralistes libéraux, centres municipaux de santé et pôles de santé/communautés professionnelles territoriales de santé, qui peuvent solliciter une TLE auprès des 3 établissements porteurs du projet TEPAPS.
À l'issue de cette phase pilote, il est prévu d'étendre l'activité de TM à d'autres domaines, notamment à l'addictologie.
Conclusion
Les 2 principaux actes de télémédecine, la téléconsultation et la téléexpertise, paraissent très adaptés aux pratiques psychiatriques et addictologiques. Au-delà d'une simple amélioration de l'accès aux consultations, la télémédecine facilite les échanges entre professionnels et contribue ainsi à l'organisation de parcours de soins coordonnés pour les situations les plus complexes. Associée à l'ensemble des services numériques qui se déploient actuellement sur les territoires et sur le plan national, elle participe en outre au partage des informations entre les usagers et les différents professionnels de la santé.