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Éditorial

Dans la continuité du “monde d'avant” : l'amende pour usage de stupéfiants


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Dans la précipitation, le gouvernement a donc généralisé l'amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants. Si l'enjeu n'était pas aussi important, on serait tenté d'en rire tant le dispositif prévu frise l'absurde. L'amende forfaitaire délictuelle ne concerne ni les usagers mineurs, ni les usagers “dépositaires de l'autorité publique”, ni les usagers participant à un service public, ni les usagers des entreprises de transport terrestre, maritime ou aérien (parce que la sanction doit être plus sévère), ni les usagers interpellés pour plusieurs infractions, ni les usagers interpellés avec plusieurs produits (parce que le procès‑verbal électronique ne prévoit la possibilité de saisir qu'un seul type de stupéfiants), ni les usagers d'opiacés (parce que le procureur doit pouvoir leur imposer un traitement), ni les usagers qui ne reconnaissent pas les faits, ni les usagers qui ont consommé des stupéfiants ou de l'alcool avant l'interpellation ou dont l'état psychique ne permet pas de s'assurer qu'ils comprennent le dispositif. La dimension sanitaire se résume à suggérer aux policiers de remettre à l'usager verbalisé un “coupon addiction” “rappelant les adresses des structures médicales et associatives proposant un accompagnement sanitaire et social”. Quant aux produits saisis, on ne sait pas comment les détruire en toute sécurité, et la circulaire du ministre de la Justice s'en remet à l'imagination des procureurs de la République. Cette amende forfaitaire délictuelle est d'abord et avant tout un dispositif de communication politique dont l'application concrète sera bien difficile et qui risque de créer un contentieux abondant.

Mais c'est sa dimension symbolique qui rend l'amende forfaitaire délictuelle si préoccupante. L'amende forfaitaire délictuelle, c'est d'abord un terrible constat d'échec, échec de la réponse pénale, de la théorie des “soins obligés” issue de la défense sociale nouvelle qui, dans la Convention européenne des droits de l'Homme, autorise la détention “d'un toxicomane”, échec de la prohibition qui n'a pas endigué l'abus de drogues, mais qui a, en revanche, favorisé le développement du trafic.

L'amende forfaitaire délictuelle, c'est ensuite un changement complet de paradigme. Le soin n'est plus la finalité de la loi, seule compte la répression. Clôturant un mouvement initié à la fin du XXe siècle, l'objectif des politiques publiques bascule de la “lutte contre les maladies et les dépendances” vers une lutte contre les “nuisances publiques”. La “sécurité” remplace la “santé” comme fondement de la prohibition selon une évolution que l'on constate également en droit européen et en droit international avec le débat autour du statut du cannabis et de ses dérivés dans la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. À écouter le ministre de l'Intérieur, l'usager n'est plus un “malade” comme dans la loi du 31 décembre 1970, mais un délinquant complice du trafic, s'il n'en est pas l'instigateur et le principal moteur.

Pour justifier cette nouvelle répression, les partisans de l'amende forfaitaire délictuelle prétendent que le dispositif permettra de rendre la sanction pénale plus effective et donc plus dissuasive. C'est un leurre. Il faut rappeler ici qu'il n'y a aucun laxisme judiciaire ou policier en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants. Les sanctions contre les usagers, toutes qualifications confondues, représentent le troisième contentieux jugé par les tribunaux après les délits routiers et les vols et recels, devant les violences par exemple. Mais l'ampleur du phénomène de consommation de stupéfiants est telle que cette sévérité sans faille ne touche qu'une part très faible des usagers. L'amende forfaitaire délictuelle va-t-elle changer les choses ? Pas vraiment. Le parallèle avec le contentieux routier parfois avancé par les partisans du dispositif est trompeur. Face à un contentieux de masse, ce qui renforce l'effectivité de la répression, c'est l'automaticité de la constatation de l'infraction, pas l'automaticité de la sanction de l'infraction. Ce sont les radars qui font “la peur du gendarme”, pas le caractère forfaitaire des amendes. Sans “radar à pétard”, on peut estimer que la nouvelle amende forfaitaire délictuelle ne sanctionnera pas plus de 10 à 20 % des usagers qui consomment dans l'année, contre 4,5 % environ aujourd'hui. Cela suffira-t-il ? Qu'il nous soit permis d'en douter.

Deuxième argument des partisans de l'amende forfaitaire délictuelle : la “simplification des procédures”. Là encore, c'est un leurre. Au mieux, l'amende forfaitaire transfère la charge procédurale des policiers vers la Justice et… le Trésor public. Car il faudra recouvrer ces amendes qui ne peuvent être payées sur place. Selon les déclarations d'un des procureurs chargés de l'expérimentation du dispositif, 32 % des usagers ont payé. 68 % n'ont donc pas payé, et il faudra mobiliser d'autres services de l'État pour permettre le recouvrement, si tant est qu'il soit possible.

Tout cela était connu, prévisible. L'amende forfaitaire va s'appliquer en ciblant une catégorie très spécifique d'usagers : les jeunes majeurs consommant du cannabis dans l'espace public qui font l'objet d'un contrôle d'identité. Et 200 €, 150 si l'amende est payée dans les 15 jours, c'est une somme dont ils disposeront difficilement. Le ministre de l'Intérieur affirme que l'amende touchera de la même façon le fumeur de joints et le cadre du XVIe arrondissement de Paris : c'est faux. On contrôle moins l'identité des habitants du XVIe arrondissement que celle des habitants d'autres arron­dissements plus populaires, et on consomme plus le cannabis que la cocaïne dans la rue.

C'est bien le jeune majeur de banlieue ou de certaines zones rurales, usager de cannabis, qui sera la cible principale de cette nouvelle procédure. L'inégalité devant la loi, la discrimination et la stigmatisation sociale en seront renforcées : inscription au casier judiciaire (hors B3) et inscription dans les fichiers de police, notamment le nouveau fichier du “système de contrôle automatisé” qui conservera pendant 10 ans ( !) toutes les traces de la procédure.

Il y a 1 an, le futur ministre de la Santé faisait voter, à l'unanimité, par l'Assemblée nationale, une disposition autorisant l'expérimentation thérapeutique du cannabis. Pour la première fois, les pouvoirs publics semblaient avoir une approche plus rationnelle des drogues, de leurs risques et de leurs bénéfices. Cette rationalité nouvelle aura fait long feu. Dans une thèse publiée en 1932, Adrien Aubry écrivait : “Le rôle mauvais et grandissant des stupéfiants a dépassé le stade des constatations, il est devenu un postulat ; il sera bientôt une croyance, une mystique − s'il ne l'est pas déjà. C'est le Génie du mal qui guette l'Humanité ; c'est le cataclysme qui est imminent ; c'est le Péché immanent.” C'est aussi, hélas, l'objet d'une instrumentalisation politique au détriment des consommateurs de stupéfiants et de la santé publique.



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Y. Bisiou déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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