Un adulte sur 5 souffre de douleurs chroniques, soit plus de 10 millions de Français, et 2 patients sur 3 estiment que leur douleur est insuffisamment contrôlée. Cette prévalence des douleurs, chroniques mais aussi aiguës, explique que plus de 2/3 des Français bénéficient du remboursement d'un médicament antalgique dans l'année. Sans compter l'automédication en pharmacie ou familiale, ce qui fait des antalgiques les médicaments les plus consommés.
L'ampleur de ce qui a été qualifié de “crise des opioïdes”, à l'origine de plus de 60 000 décès annuels par overdoses aux États-Unis dont au moins 2/3 sont liés à des opioïdes sur prescription, doit nous encourager à redoubler de vigilance en France. Cela dans un contexte d'augmentation des prescriptions d'antalgiques opioïdes forts (+ 74 % de patients traités entre 2004 et 2015), plus particulièrement dans la douleur non liée au cancer (+ 71 %). Parallèlement, des signaux émergent concernant les hospitalisations et les décès par overdose aux opioïdes en France. La sécurité d'emploi des antalgiques, parfois prescrits pendant des mois, voire des années, y compris à des populations vulnérables (sujets âgés, enfants, patients dépendants, etc.), doit faire l'objet d'une attention particulière. Les données du réseau français d'addictovigilance présentées en mai 2017 à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé rapportent des cas de mésusage de tous les antalgiques opioïdes (1). Ces notifications concerneraient majoritairement des patients dans un contexte de douleur et une population plutôt féminine. Il existe néanmoins certaines spécificités. Par exemple, le fentanyl transmuqueux est à l'origine de la majorité des cas de pharmacodépendance avec cette substance, lorsqu'il est prescrit en dehors des douleurs cancéreuses (hors autorisation de mise sur le marché) et sans être associé à un traitement antalgique opioïde à libération prolongée. L'usage hors indication antalgique du sulfate de morphine par les usagers de drogues dépendants aux opioïdes semble être associé à des risques accrus d'overdose et de complications infectieuses, probablement en lien avec le détournement de la voie d'administration par injection. Néanmoins, les douleurs chroniques de ces patients dépendants semblent encore mal prises en charge, avec 2,7 fois moins de prescriptions d'antalgiques opioïdes. Enfin, des abus d'autres molécules utilisées à visée antalgique, comme la prégabaline ou la gabapentine, plus particulièrement chez les usagers d'opioïdes de substitution, font l'objet de signaux de plus en plus nombreux.
Parce que certains risques liés aux antalgiques opioïdes sont évitables, comme les overdoses, et que la France ne se trouve pas dans une crise sanitaire, contrairement aux États-Unis, des actions de prévention, notamment via l'éducation à la santé pour les usagers et des formations ciblées et répétées des professionnels de santé, doivent dès maintenant être mises en œuvre. La mise à disposition de la naloxone devra probablement être élargie rapidement aux patients douloureux bénéficiant de la prescription d'un antalgique opioïde. Un Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA) a été récemment créé pour participer à cette dynamique de pharmacosurveillance et de promotion du bon usage des antalgiques. Il a notamment pour vocation d'en présenter des données de sécurité et de bon usage. Ces actions doivent permettre de maintenir accessibles les traitements antalgiques aux patients douloureux.
Enfin, vous trouverez dans ce numéro un lien pour consulter un baromètre national de caractérisation des patients traités en France par un médicament de substitution aux opioïdes (MSO) : 169 265 patients ont bénéficié d'au moins un remboursement d'un MSO en 2015. La buprénorphine, particulièrement le Subutex®, reste le traitement majoritaire (65,9 % des patients substitués en médecine de ville). Ce baromètre 2015 met en évidence une fréquence plus élevée des comorbidités psychiatriques et infectieuses chez les sujets dépendants que dans une population de référence non dépendante. Il souligne aussi des prescriptions de médicaments psychotropes significativement plus élevées chez les patients substitués, plus particulièrement des anxiolytiques : 5 fois plus fréquentes (48,5 %) que dans la population générale. L'analyse des données relatives aux hospitalisations permet d'en identifier l'alcool comme première cause. Enfin, la déclinaison de ce baromètre à l'échelle des départements indique des particularités régionales d'accessibilité des MSO mais aussi de prévalence des overdoses. La publication d'un baromètre annuel de suivi des patients dépendants aux opioïdes et recevant une substitution par buprénorphine ou méthadone participera à l'étude de l'accessibilité de ces médicaments. Considérées comme essentielles par l'OMS, ces informations contribueront à la description de la population concernée, de ses comorbidités et des complications associées, et à la promotion du bon usage des antalgiques.
Nous vous souhaitons une bonne lecture de ce dernier numéro de l'année et espérons vous retrouver en 2018, toujours fidèles lecteurs du Courrier des addictions.