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Éditorial

Double défi : sans tabac, sans alcool


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“Mois sans tabac” en novembre et “Dry January” (pause d'un mois dans la consommation d'alcool) : ces 2 défis interpellent directement les usagers de tabac et d'alcool en s'adressant à eux via les médias et les réseaux de soins et de prévention.

Mobilisations citoyennes individuelles et collectives

Le premier (qui en est à sa 7e édition) a bénéficié du soutien de l'État (Santé publique France). Le Mois sans tabac était un défi lancé aux fumeurs avec pour propos de soutenir le sevrage de ceux qui le souhaitaient (134 749 personnes se sont inscrites cette année) et de leur faire connaître les ressources mises à leur disposition (figure 1, voir sur le PDF).

Le second, qui se déroule donc en janvier, est porté non par l'État, mais par un collectif d'associations et quelques villes partenaires signataires d'une charte (figure 2voir sur le PDF). Cette campagne est née en 2013 au Royaume-Uni à l'initiative de l'ONG Alcohol Change UK et s'est étendue en 2021 à la France et à d'autres pays d'Europe.

Là encore, le propos est de susciter les demandes de soins et d'en faire mesurer les bénéfices par la personne et son entourage en promouvant la modération des consommations et non l'abstinence, avec, à la clé, une évaluation des bénéfices pour la société induits par la diminution des dommages liés à la consommation d'alcool et de celle des coûts pour le système de santé. Cette seconde initiative a aussi l'ambition de contribuer à normaliser un environnement où boire ne doit plus être la règle.

En cela, les deux campagnes se rejoignent et s'appuient sur une mobilisation citoyenne individuelle et collective. Elles contribuent à dénormaliser l'usage de 2 substances qui restent légales, d'accès réglementé, mais néanmoins facilement accessibles.

Elles augmentent le niveau de connaissances des populations et visent à une promotion de la santé qui a des limites dans la mesure où le recours aux psychotropes est une réponse au mal-être de l'individu et où, comme on le sait, il n'existe pas de société sans drogues. Dans une société démocratique, en effet, l'État ne peut pas régir tous les aspects de la vie privée. D'ailleurs, perméable à l'influence des lobbies alcooliers, il s'est montré frileux pour s'impliquer dans cette campagne de janvier alors qu'il a soutenu celle de novembre, la promotion du tabac étant perçue désormais comme inacceptable par la majorité des citoyens.

Objectif accessible : accentuer la diminution de l'usage chez les jeunes

Si les niveaux de consommation de tabac des adolescents français sont en baisse ces dernières années, ils restent au-dessus de ceux de la moyenne des adolescents des autres pays européens. Cette tendance s'inscrit dans un contexte marqué par une forte consommation des adultes qui, même si elle décroît aussi depuis 2016, reste particulièrement importante en France : 30 % des personnes entre 18 et 75 ans fumaient du tabac en 2019, contre 15 % en Grande-Bretagne et 14 % en Australie par exemple. À l'entrée au collège, une grande partie des élèves avaient déjà expérimenté l'alcool et 33 % des jeunes de 15 ans avaient fumé des cigarettes. La “beuh” (l'herbe), facilement accessible, passe pour être “bio” au motif qu'elle est “terroir” et produite en circuits courts. Les ados en apprentissage ou sortis du cursus scolaire ont des niveaux de consommation élevés avec des conséquences péjoratives pour leur insertion professionnelle ou leurs relations familiales. La loi du 21 juillet 2009 a bien instauré l'interdiction de vendre des boissons alcoolisées et des produits du tabac aux mineurs, mais leur disponibilité persiste et il est toujours facile pour eux de se procurer ces articles… ainsi que du cannabis !

Lors du 16e congrès de la Société francophone de tabacologie à Dijon, les 24 et 25 novembre derniers, on s'est fixé pour objectif de parvenir à la première génération sans tabac à l'horizon 2032, comme le prévoit d'ailleurs le Programme national de lutte contre le tabac 2018-2022. On considère en effet que cet affranchissement des jeunes de l'influence de l'industrie du tabac est un prérequis à toute évolution favorable en matière de santé. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2020 une campagne pour donner aux nouvelles générations les moyens d'identifier les stratégies utilisées par celle-ci pour les amener à consommer ses produits. Elle intitule cette opération, qui déploie un ensemble d'outils pédagogiques, “Mettons un terme à l'exploitation des enfants et des jeunes par l'industrie du tabac”.

L'habitus nocif des lobbies en ligne de mire

L'entrée dans la consommation de tabac est un enjeu majeur pour la prévention. C'est aussi une priorité pour le marketing de l'industrie du tabac. Chaque année, ces entreprises investissent plus de 8 milliards d'euros pour promouvoir leurs produits. Le conflit entre l'impératif de maximisation du profit et la santé de la population est inévitable.

On parle ainsi de “déterminants commerciaux de la santé”, c'est-à-dire de “stratégies et approches utilisées par le secteur privé pour promouvoir des produits et des choix qui sont préjudiciables à la santé”. Elles font appel à une variété de canaux par lesquels les entreprises influencent la société dans son ensemble, les gouvernements et les consommateurs. Quant aux lobbies de l'alcool, ils ne sont pas en reste et ont particulièrement investi les réseaux sociaux, associant divertissement et alcool, en banalisant l'usage sans en mentionner les effets nocifs.

Patrick Pharo, dans Le Courrier des Addictions de décembre 2020, rappelait qu'avant le stade de l'addiction, il existe chez la plupart des personnes ce qu'on appelle des habitus, au sens de l'attachement farouche à une forme de vie ou de travail. Les habitus ne sont pas considérés comme des pathologies, même lorsqu'ils sont destructeurs pour les autres ou pour soi-même. L'habitus des alcooliers et de beaucoup d'autres lobbyistes relève de ce genre d'attachement farouche qui s'explique d'autant plus facilement que c'est de cela qu'ils vivent. La logique des services commerciaux étant généralement d'étendre coûte que coûte leurs marchés, il paraît indispensable d'imaginer des mesures pour freiner ou rendre inefficaces les stratégies publicitaire et promotionnelles les plus agressives des lobbies. Et, en particulier, de sensibiliser les jeunes (et leurs parents) aux dangers de l'alcool sur les réseaux sociaux et de les éduquer pour résister au marketing du tabac !

Références

Didier Jourdan, Viet Nguyen-Thanh. Pourquoi il faut éduquer les jeunes face au marketing du tabac. Disponible sur https://theconversation.com/pourquoi-il-faut-eduquer-les-jeunes-face-au-marketing-du-tabac-141637

Jesus Bermejo-Berros. Comment sensibiliser les jeunes aux dangers de l’alcool sur les réseuax sociaux ? Disponible sur https://theconversation.com/comment-sensibiliser-les-jeunes-aux-dangers-de-lalcool-sur-les-reseaux-sociaux-191875.

Pharo P, Touzeau D. Philosophie pratique pour penser les addictions
et leurs différentes dimensions neurobiologiques sociales, psychologiques au XXIe siècle. Le Courrier des Addictions 2020;22(4):6-10.

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