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Éditorial

Subissant la crise démographique, après celle du Covid, l’addictologie peut-elle conserver toute sa richesse ?


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Le 15 novembre dernier, s’est tenue la journée interassociative de la Fédération française d’addictologie (FFA) sur le thème de “État des lieux et perspectives pour l’addictologie au sortir du Covid”.

Au programme, quelles données existent sur l’état de l’offre de soins ? Quelles perspectives pour la prévention et la réduction des risques et des dommages (RDRD) ? De la crise Covid à la crise démographique : quels retours des usagers ? Focus sur des populations vulnérables : les mineurs non accompagnés, les personnes sous main de justice, l’accès aux traitement agonistes aux opiacés ? Et enfin, comment faire au mieux avec moins ? Vaste programme donc…

Pourquoi ce sujet tout d’abord ? Chaque année un ou plusieurs thèmes de travail sont choisis par le conseil d’administration de la FFA. Au moment de questionner ce thème, ont déferlé les plaintes et inquiétudes face aux difficultés rencontrées par chacun dans son quotidien professionnel et dans celui de son association. La pandémie a demandé beaucoup aux équipes de soins, de réduction des risques, aux différentes formes d’entraide. Nombre de structures cumulent les problèmes, partagés avec le milieu de la santé : des départs sans recrutement, des arrêts maladie, une dégradation de l’état de santé de la population associée à une paupérisation, des problèmes de financement avec l’inflation et les revalorisations des professionnels – par ailleurs bienvenues –, ou encore des baisses de ressources (subventions ou autres). Un besoin évident de partager les difficultés rencontrées et de se questionner collectivement a émergé pour tenter de ne pas subir tout cela en modifiant sans réfléchir les organisations, les pratiques, les outils…

Nous nous occupons d’un public concerné par une problématique chronique associant poly­comorbidités et stigmatisation dans la population comme dans la santé. Par ailleurs, l’offre de produits ou objets d’addiction se porte, elle, au mieux, qu’ils soient légaux comme pour le tabac, l’alcool et le jeu, ou illégaux (drogues classiques, produits de synthèse). Leur promotion recourt au même usage d’outils de marketing agressif, multi­supports (web – dark ou pas –, téléphonie, guichet de rue, réseaux de proximité…). On assiste à une explosion de l’offre de produits, quand celle des prises en charge est en souffrance. Elle manque de visibilité et encore trop souvent de souplesse pour répondre aux demandes diverses des usagers et est parfois décalée des parcours proposés. C’est d’ailleurs là que se trouvent probablement des perspectives positives, des espaces de créativité pour évoluer et faire que la crise nous permette au moins de bouger nos lignes vers une offre
et/ou une réponse plus efficiente aux attentes des usagers et de leurs proches et qui suscitent une plus grande attractivité de nos dispositifs.

Notre spécialité est résiliente. C’est une “marathonienne” qui sait maintenir son énergie tant elle doit depuis des décennies défendre ses spécificités, sa légitimité, ses usagers tout en interrogeant la société et la politique, sans pouvoir relâcher sa vigilance et même toujours demander, revendiquer, militer… Une communauté inclusive qui non, sans débats, voire conflits, permet la présence de différentes approches à même de créer des espaces variés pour des étapes de soins ou d’accompagnement différenciées.

Les sujets d’inquiétude ont été abordés durant cette journée. Je citerai, sans être exhaustive :

  • Une offre de soins hospitaliers qui n’a probablement pas retrouvé tous ses lits avec une tendance à l’ouverture de HDJ d’addictologie. Mais il nous faudra encore attendre pour avoir les données de la DGOS qui a interrogé les établissements sur ce point, il y a presque un an, avec un taux de réponse de plus de 70 %.
  • Une communauté médicale d’addictologues – en majorité psychiatres et généralistes – vieillissante, soumise comme les autres spécialités à ce problème démographique. Néanmoins, la psychiatrie ne fait pas le plein au troisième cycle depuis plusieurs années alors qu’elle fournit la majorité des internes se formant à la FST d’addictologie, cette dernière ne proposant que peu de postes d’addictologie. Qu’en est-il des médecins qui pourront prendre la relève ?
  • Des délais de prise en charge qui s’allongent pour les usagers et leurs proches et qui, une fois en place, sont moins qualitatives ou intensives.
  • La réduction des risques souffre de problèmes anciens toujours non résolus : accessibilité du matériel et qualité normée de ce matériel, diffusion de la naloxone, accès au dépistage, lieux de consommation à moindre risque ou haltes soins qui n’ouvrent pas… Et elle fait face à de nouveaux challenges pour répondre aux besoins rapidement évolutifs des usages.
  • Les campagnes de prévention ne sont pas toujours déployées, tout simplement comme cette année avec l’annulation de la campagne de prévention contre l’alcoolisme, ou pas toujours déployées avec le contexte et cadrage adaptés à leur compréhension, telle la campagne RDRD “C’est la base” de Santé publique France de cette rentrée visant à réduire les alcoolisations aiguës, importantes chez les 17-25 ans et à prévenir leurs risques (toxicité, accidento­logie), qui a été critiquée comme banalisant la consommation.

S’il faut réfléchir et agir autant que possible sur ces points, des dynamiques intéressantes émergent ou se confirment également :

  • Les pratiques professionnelles dans le médicosocial favorisent des partages de tâches entre professionnels, ce qui, je pense, permet une adaptabilité des structures au “turn-over” dans les équipes, ainsi qu’aux besoins évolutifs des usagers.
  • Les développements de coopération/coordination et partage de tâches dans le libéral peuvent se développer par le biais des communautés professionnelles territoriales de santé, des dispositifs d’appui à la coordination, ou au sein des lieux de soins pluri­professionnels. Elles existent aussi entre structures hospitalières proposant séjours et suivis. La télémédecine/téléexpertise prend une place non négligeable.
  • Les microstructures poursuivent leur déploiement avec un certain succès pour un nouvel aller vers, un nouveau trait d’union entre l’addictologie et le médecin traitant.
  • Le maintien de formations continues à l’addicto­logie pour des consœurs et confrères s’y intéressant secondairement ; rappelons que seule la capacité est qualifiante pour les médecins et que nous attendons un master infirmier en pratique avancée d’addictologie (voir la communication d’Alain Dervaux et Olivier Cottencin, page 8)
  • Les associations d’entraide retrouvent l’accueil présentiel mais ont développé le distanciel, quand, par ailleurs, les réseaux sociaux permettent d’accéder à des groupes installés, qui ont connu un fort développement pendant les confinements, comme “Je ne fume plus” ou “Addictions et alcool : ensemble on est plus forts”.
  • La place des usagers dans les équipes bénéficie de différentes initiatives : patient-expert, pair-aidant, médiateur, animateur… et semble s’amplifier.
  • La prévention bénéficie de campagnes nationales qui seront professionnalisées et dotées d’outils de marketing social. On peut souligner les projets visant au développement des compétences psycho­sociales chez les scolaires qui font l’objet de projets et travaux interministériels.
  • La RDRD fait maintenant partie depuis 2016 du droit commun – enfin ! (voir l’intervention de Catherine Duplessy, page 12).
  • Des outils numériques de plus en plus efficients sont amenés à accompagner les usagers, comme les applications d’aide au sevrage tabagique, des applications en alcoologie, avec Mydéfi par exemple, les groupes dans les réseaux sociaux, comme cités précédemment, des sites d’information comme Addict’Aide. La formation bénéficie aussi de l’air numérique des congrès, tel E-ADD, à la formation initiale, qui comporte des projets de supports de microlearning.

Voilà pourquoi il ne faut pas sombrer dans la sinistrose mais chercher les voies nous permettant de rester accessible aux usagers, d’évoluer en restant à l’écoute de leurs besoins et des données de la littérature. Il nous faut optimiser l’utilisation des  outils tant administratifs que numériques ou humains et privilégier les synergies professionnelles et le partenariat des uns avec les autres.

Intervenants de la journée

Michaël Bisch (Respadd), Alain Dervaux (CUNEA), Romain Gomet (AJPJA), Kevin Lornage (géomatique), Maïtena Milhet (OFDT), François Paille (Copaah), Laora Tilman (DGOS), Catherine Meier (SFT), Catherine Duplessy (Safe/RDRD à distance), Sylvain Gueho (DGS), Viêt Nguyen Thanh (SPF Prévention), Romain Sicot (ELSA France), Christelle Cros (Addict’aide), Alain Dejour (Je ne fume plus), Sandra Pinel (patiente experte Addict’aide), Philippe Sayer (Entraid’addict/CAMERUP), Miguel Velazquez (ASUD). Étienne Kammerer (Addictolib), Emmanuelle Peyret (ELSA France), Fadi Meroueh (Gertox), Maela Lebrun (Collectif Galilée / Respadd), Danielle Bader (CNMRS), Thomas Di Maria (Addictolib), Melina Fatseas (Copaah), Laurent Karila (SOS Addictions), Pascal Perney (SFA), Thierry Roger (CNMRS).


Liens d'intérêt

A. Deschenau déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

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