En médecine, plus une maladie est dépistée précocement, plus le traitement peut être mis en œuvre rapidement et, par conséquent, meilleure est l’évolution. En psychiatrie, les interventions précoces se sont beaucoup développées à la fin du XXe siècle, notamment sous l’impulsion des travaux pionniers de Patrick McGorry en Australie, qui a appliqué en psychiatrie le dépistage et la prise en charge par stades (staging) :
- stade 1 : sujets à haut risque ;
- stade 2 : 1er épisode psychotique ou trouble de l’humeur sévère ;
- stade 3 : rechute(s) ;
- stade 4 : troubles sévères, persistants ou résistants.
Sur le modèle des stades utilisés en cancérologie :
- stade 1 : tumeur localisée ;
- stade 2 : prolifération ganglionnaire localisée ;
- stade 3 : prolifération régionale ;
- stade 4 : propagation métastatique.
À partir de là , P. McGorry a développé un réseau très dense de dépistage systématique et de prise en charge précoce dans la communauté, bien avant le recours aux soins psychiatriques qui a essaimé dans le monde entier. En France, ce modèle est proche de celui pratiqué au sein des Maisons des Adolescents.
Ce modèle est intéressant en addictologie pour 2 raisons :
- De plus en plus d’auteurs soutiennent le modèle neurodéveloppemental des addictions [1-5]. Par exemple, lors du dernier congrès de l’American Psychiatric Association (Annual Meeting 2024) à New York, Yasmin Hurd de l’Addiction Institute de Mount Sinai (New York) a appliqué ce modèle pour l’addiction au cannabis [6]. Celle-ci résulte de l’interaction entre des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux, notamment l’exposition au delta-9-THC durant la grossesse, les maltraitances dans l’enfance, l’exposition précoce au cannabis et aux autres substances (tabac, alcool, etc.), la disponibilité des produits. En conséquence, Y. Hurd a souligné que la prévention et les approches thérapeutiques aux stades les plus précoces étaient des enjeux majeurs : l’objectif est notamment de limiter le plus possible les effets des substances sur le cerveau des jeunes [6]. Néanmoins, force est de constater qu’en pratique, malgré les efforts louables des actions de prévention et l’expansion des consultations jeunes consommateurs (CJC), nous sommes encore loin du compte.
- Beaucoup de patients qui consultent en addictologie, pour ne pas dire la grande majorité, présentent également des pathologies psychiatriques. Ces dernières ont commencé au cours de l’adolescence, tout comme les addictions. Chez les sujets les plus jeunes qui consultent en addictologie, les symptômes psychiatriques sont peu spécifiques, alors qu’ils peuvent correspondre à l’apparition de pathologies pouvant être sévères, notamment les troubles psychotiques et les troubles bipolaires. Par exemple, les addictions à l’alcool et au cannabis débutent autour de l’âge de 19 ans et demi, avant les premières décompensations psychotiques (en moyenne à l’âge de 20 ans et demi). Il est donc crucial de dépister ces pathologies le plus tôt possible, de les prendre en charge, et donc de connaître les dispositifs d’intervention précoce psychiatriques.
Les réflexions sur la clinique des phases précoces et leur prise en charge devraient dès lors susciter des évolutions dans les pratiques addictoÂlogiques.