Retrouvez les contenus Edimark
sur l'application mobile
Éditorial

Dépénaliser l’usage de drogues et combattre le trafic


(pdf / 83,77 Ko)

Dans ce numéro, B. Lebeau Leibovici, rendant compte du récent colloque “Drogues et Droits humains”, organisé par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et le Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe le 12 novembre dernier, souligne les obstacles rencontrés par les politiques de santé (réduction des risques et traitement des “personnes addictes”) menées ces 30 dernières années. Il explique également l’échec du modèle de prohibition qui n’a pu empêcher le développement du marché illégal des drogues. Tant s’en faut !

L’actualité nous en fournit encore un exemple avec le débat sur l’implantation des “haltes soins addictions”, improprement baptisées “salles de shoot”, remises en cause par le ministre de l’Intérieur. Encore en expérimentation, elles sont pourtant évaluées d’ores et déjà comme positives par les inspecteurs de l’inspection générale des affaires sociales, qui appellent à les “inscrire dans le droit commun”, “afin de prévoir, en droit, la possibilité d’ouvrir de nouveaux espaces de consommation supervisée”.

Alors, le compromis trouvé entre les autorités de santé et le ministère de l’Intérieur va-t-il voler en éclats ?

Cette intransigeance d’affichage n’est pas nouvelle. La recherche de solutions radicales court-termistes qui pénalisent les usagers, toujours prônées, est encore aujourd’hui populaire. Ces solutions visent à obtenir des effets rapides sur les consommations, mais elles se soldent toujours aussi par des échecs.

Une preuve ? En 1986, ce sont bien des mesures à long terme, comme la mise à disposition de la méthadone chlorhydrate et des seringues, qui ont permis de sauver des milliers de vies en mettant fin à l’épidémie de VIH, d’hépatites et de surdoses d’héroïne.

En 2024, on estime que sur les 342 000 consommateurs dits problématiques (c’est-à-dire qui se droguent par voie intraveineuse ou qui consomment des opioïdes, de la cocaïne, des amphétamines ou des drogues de synthèse), un faible pourcentage est pris en charge. Le vrai défi à relever est donc la mise en place d’une politique d’offre de soins, notamment psychiatriques, digne de ce nom, associant des mesures sociales (logement, etc.) et un volontarisme des autorités et des professionnels pour entrer en contact avec ces usagers marginalisés. Avec la conviction, avérée, que l’impact des soins est plus important lorsque les usagers décident librement d’en bénéficier ! On sait aussi que les pressions sociales de l’entourage freinent la personne dans la poursuite ou l’augmentation de ses consommations et participent à la modification de son comportement. On sait encore que les mesures punitives contre les consommateurs de drogues empêchent leur prise en charge sans les dissuader de poursuivre leurs consommations et, de surcroît, les stigmatisent aux yeux de la population.

Le modèle de prohibition de l’usage encore en place presque partout dans le monde devrait être remis en question, d’autant plus qu’il n’a pas pu empêcher le marché illégal des drogues de se développer.

La guerre à la drogue impulsée par R. Nixon dans les années 1980 a été incapable de juguler le trafic qui représente un marché illégal mondial estimé à plus de 400 milliards d’euros annuels (entre 3,5 et 6 milliards en France), selon la Global Financial Integrity (une ONG située à Washington). Ce marché est résilient face à toutes les réponses policières et judiciaires, et il est responsable d’une hausse des violences.

Une politique de lutte contre les trafics est d’autant plus nécessaire. C’est elle qui devrait bénéficier de tous les moyens répressifs… dont ceux dégagés par la fin de la prohibition et de la chasse aux usagers revendeurs !

Comme le souligne le chercheur K. Tinasti, qui préconise de cibler les acteurs les plus haut placés du marché (tribune du Monde publié le 19 novembre) [1], “un narratif intransigeant sur les drogues s’avère souvent payant pour les responsables politiques, mais sans résultats durables sur le terrain. Il est toutefois de leur responsabilité de ne pas permettre que la question complexe du crime organisé trafiquant des drogues devienne un sujet de division territoriale, sociale et économique, d’autant plus qu’il n’y a pas de moyen d’éliminer le marché des drogues, mais simplement des stratégies pour en réduire significativement les effets négatifs”.

Au niveau international, les lignes bougent (voir dans ce numéro, l’article “Recommandations des instances internationales et nationales en matière de drogues et droits humains”) : le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU préconise de mettre fin à la guerre à la drogue ; la Commission des stupéfiants (CND) de l’ONU reconnaît la notion de réduction des risques ; l’Union européenne souligne la nécessité de soutenir les approches fondées sur des preuves, visant à conjuguer sécurité et santé publique ; le Groupe Pompidou, devenu officiellement le Groupe de coopération internationale du Conseil de l’Europe sur les drogues et les addictions (incluant tabac, alcool et jeux), promeut le respect des droits humains dans l’élaboration, l’adoption, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques en matière de drogues et d’addictions.

En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (la CNCDH) recommande que la politique publique de lutte contre les drogues soit repensée pour placer le respect des droits fondamentaux des usagers au cœur du débat.

Condition pour que cette remise en cause de la prohibition et une dépénalisation de l’usage soient suivies d’effets : il faudra user de beaucoup de pédagogie pour convaincre la société de dégager les moyens d’une autre politique, équilibrée, des addictions. Répétons-le : celle-ci s’articule autour des 4 piliers que sont la prévention, les soins, la réduction des risques et la réduction de l’offre.

Références

1. Tinasti K. Contre le trafic de drogue, un narratif intransigeant s’avère souvent sans résultats durables sur le terrain. Le Monde. 2024. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/18/contre-le-trafic-de-drogue-un-narratif-intransigeant-s-avere-souvent-sans-resultats-durables-sur-le-terrain_6400239_3232.html


Liens d'intérêt

D. Touzeau déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

Connectez-vous à votre compte
Inscrivez-vous gratuitement

Identifiant / Mot de passe oublié


Vous avez oublié votre mot de passe ?


Vous avez oublié votre identifiant ?

Consultez notre FAQ sur les problèmes de connexion ou contactez-nous.

Vous ne possédez pas de compte Edimark ?

Inscrivez-vous gratuitement

Pour accéder aux contenus publiés sur Edimark.fr vous devez posséder un compte et vous identifier au moyen d’un email et d’un mot de passe. L’email est celui que vous avez renseigné lors de votre inscription ou de votre abonnement à l’une de nos publications. Si toutefois vous ne vous souvenez plus de vos identifiants, veuillez nous contacter en cliquant ici.