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Tribune

Les avancées de la médecine à portée de tous les êtres vivants


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L'éthique s'invite comme une crise entre les normes morales et les possibilités infinies d'application des technologies. C'est un lieu où les médiations prévalent, celui de l'éthique des professionnels dans leurs pratiques cliniques et de recherche. Il s'agit d'un lieu où agissent les deux transcendantaux suivants de la conscience historique : l'horizon d'attente et l'espace d'expérience, tels que Paul Ricœur les invoque [1]. Ce sont des transcendantaux qui fournissent le cadre à l'intérieur duquel il est possible d'apprécier les écarts.

La crise apparaît quand ces deux entités dysfonctionnent. ­Ricœur voit dans la crise de la modernité actuelle un espoir de renouveler les héritages du passé, une double chance de ressourcement et de réinterprétation dans une société pluraliste qui n'a pas de consensus, comme aujourd'hui. La crise alors peut replacer nos idées et nos visions des êtres qui peuplent la terre. Au moment où, à l'acmé de l'individualisme, apparaît le besoin solidaire [2] qui remet les relations et la nature de nos identités d'êtres, historiquement fixées.

Les différentes informations reçues à l'aide de nos cinq sens nous permettent de construire une représentation mentale du monde, une image de celui-ci par notre cerveau [3]. Cette dernière peut être étendue à chaque espèce animale dès lors que l'éthologie affirme que l'homme ne naît pas humain et qu'il le devient, que rien ne distingue sur le plan ontologique un être humain des autres êtres vivants, que l'utilisation des outils ne nous est pas spécifique invalidant une évidente suprématie, même le langage, le sourire et le rire sont ainsi partagés.

La technique a transformé le monde et bouleverse nos référentiels historiques et nos anciennes pratiques. Nous devons, nous les praticiens qui exécutons les possibles avancées que la science moderne nous met à disposition, alors constater les écarts objectivés par nos collègues de sciences humaines et sociales, lesquels sanctionnent les dysfonctionnements délétères à la conception mondaine du vivant.

Le corps est comparable à un texte comme le livre figure sa vie avec une introduction et une conclusion, le texte continuant à vivre dans les esprits de ses lecteurs. Comme un texte, le texte se réécrit, se recrée, s'améliore par la main humaine et, appliqué au corps, l'humanité est conquise seulement quand le corps commence à réécrire son propre programme [4]. Le concept d'universalité que nous prônons doit être véridique dans les faits. Par son appartenance au monde commun, la technique contribue de manière décisive à l'inscription de l'individu dans une société et elle est une condition essentielle à l'individuation individuelle et collective [5] qui conserve les traces des créations passées, nous permettant d'utiliser les objets et savoirs anciens, mais également de les perfectionner et d'innover. L'individuation fait le lien avec ce que Simondon appelle la transduction [6].

La transition écologique conçue comme un projet d'émancipation et de coopération entre les formes vivantes sur terre se fonde sur la capacité des humains d'opérer une mutation intérieure pour que le rapport à autrui cesse d'être un rapport de domination, vers un schème de la considération de l'autre [5]. C'est dans ce cadre que la médecine et les techniques qui s'appliquent au corps peuvent être proposées à tous les êtres vivants, en fonction de choix éthiques de partage et de possibilités économiques qui s'inspirent d'une conception élargie de la considération que nous accordons à l'autre et aux autres êtres vivants, ce qui nous appelle à redéfinir le cadre méta­physique avec cette conversion du regard [7] effectuée vis-à-vis des animaux, en rapport avec cette volonté d'universalité. ●

Références

1. Ricœur P. La crise : un phénomène spécifiquement moderne. Revue de théologie et de philo­sophie 1988;120(1):1-19.

2. Bizard F. L’autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible. Paris : Michalon, 2021. 282 p.

3. Serra J. La bête à nous. Paris : humen­ciences/Humensis, 2021. 260 p.

4. Weibel P et al. La nouvelle conception de l’homme. La construction de l’être humain. In : Le Philosophoire. Paris : Vrin Ed., 2004. p. 32-55.

5. Pelluchon C. Les lumières à l’âge du vivant. Paris : éditions du Seuil, 2021. 317 p.

6. Simondon G. Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier, 2012. p. 56.

7. Hadot P. Plotin ou la simplicité du regard. Collection Folio. Paris : Gallimard, 1997.


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