Au moment d'écrire ces quelques lignes d'éditorial d'une nouvelle revue Médecine & Chirurgie Animales qui surgit dans le kaléidoscope des revues et des éditions vétérinaires, il est opportun d'en connaître la source. Celle-ci réside dans la volonté alliée au désir d'une éditrice, Claudie Damour-Terrasson pourtant déjà comblée par ses nombreuses éditions à succès (une trentaine) dans le milieu médical, dentaire et paramédical. Mais consciente que les vétérinaires sont partie prenante des professions de santé, elle rêvait d'investir la médecine du monde animal. C'était en réalité une façon de rendre sa place à l'animal et à sa médecine dont on a bien compris, ces dernières années, qu'elle est un élément essentiel de l'approche globalisée de la médecine qui va de l'homme à l'environnement en passant par l'animal et le végétal dans un concept qui a progressé du One Medicine au One Health pour aboutir à la santé globale. Cette approche n'est que l'évolution de la recherche globale scientifique et médicale, humaine et animale, du XIXe siècle initiée par Louis Pasteur, dont on commémore cette année le bicentenaire de la naissance.
Claudie Damour-Terrasson ne cache pas que sa fréquentation assidue de ses deux vétérinaires praticiens préférés, Yann Dubreuil et Jean-Marc Elbaz, pour ses propres animaux de compagnie fut déterminante dans la concrétisation de son projet. Celle du milieu académique médical le fut tout autant. J'ai pu le constater lors de ma présidence 2021 de l'Académie vétérinaire de France dans une réunion interacadémique sous l'égide de ces institutions remarquables que sont la Fondation des Gueules cassées et l'Union des blessés de la face et de la tête. C'est ainsi qu'en moins de 6 mois, forte de l'expérience acquise dans les différentes disciplines médicales, Claudie Damour-Terrasson a mis en place un comité éditorial, un conseil scientifique et un comité de rédaction pour proposer une revue animale ex nihilo. Cette dernière sera innovante et bien plus complémentaire que concurrentielle des revues déjà à la disposition de la profession vétérinaire. Elle souhaite intéresser autant les vétérinaires que les auxiliaires spécialisé(e)s vétérinaires ou les structures professionnelles, sans oublier de s'ouvrir sur le plan culturel au sens large, susceptible d'agrémenter la vie de chacun des lecteurs, quelle que soit sa relation avec le monde animal ou son mode d'exercice.
Cette revue Médecine & Chirurgie Animales est donc appelée à révéler toutes les facettes de la profession vétérinaire et à interagir avec elle. Chacun ici connaît les multiples préoccupations du microcosme vétérinaire actuel. J'ai toujours connu notre profession en perpétuelle transformation et adaptation dans un monde qui ne cesse de changer et d'imposer de nouvelles règles, de nouvelles façons de vivre ou de consommer. Cela n'est pas susceptible de perturber des lecteurs conscients que la vie n'a jamais existé qu'au prix d'adaptations permanentes aux conditions sans cesse changeantes de son environnement.
L'exercice vétérinaire en 2022
Pour être plus concret, il faut rappeler quelques grands thèmes et repères en lien avec l'exercice de la médecine et de la chirurgie animales en 2022. Pour autant, ce ne sera pas un inventaire à la Prévert, mais reconnaissons qu'il est difficile aussi d'établir des priorités. Il existe quand même un domaine qui pèse au quotidien sur chacun de nos confrères, celui de la pénurie de vétérinaires en France, donc des difficultés de recrutement. Jusqu'où la création d'une nouvelle école vétérinaire privée, l'augmentation du nombre d'élèves recrutés, la diversification des recrutements avec la création de la voie d'accès post-bac de Parcoursup et son effet bénéfique sur le raccourcissement de la durée des études ou la diversification des origines géographiques ou sociales parviendront-ils à combler la nécessité de la formation d'un nombre toujours croissant de jeunes vétérinaires français ? Nous sommes dans une configuration qui consiste pour l'État à se décharger du coût de cette formation des vétérinaires jugée trop onéreuse pour en former un plus grand nombre. Le fait que ces jeunes se détournent de l'exercice des animaux de rente au profit de l'animal de compagnie ne plaide pas en leur faveur. On a pourtant bien compris que, depuis plus de 30 ans, eu égard à la demande, la “légitimité” du vétérinaire dans l'exercice de la médecine et de la protection de la santé des animaux de compagnie a largement dépassé celle concernant l'animal de production, même si la lutte contre les zoonoses ou le contrôle sanitaire de la chaîne alimentaire demeurent au cœur de l'exercice de notre profession. La forte demande en matière de soins vétérinaires largement amplifiée par la pandémie de Covid-19, qui a créé les circonstances d'un rapprochement de l'être humain avec son animal de compagnie, ne peut qu'engager au recrutement de nos étudiants dans cette filière des sciences de la vie. Elle pourrait connaître également des débouchés en dehors de l'exercice clinique via la santé publique vétérinaire en irriguant les lieux de pouvoir et les différentes administrations à tous les niveaux du territoire d'une culture biologique qui a tant fait défaut lors de l'apparition de la pandémie de Covid-19 pour à l'avenir mieux anticiper et mieux combattre de telles crises sanitaires majeures.
Mais le One Health s'imposera également dans le cadre des enjeux d'équilibre des écosystèmes avec les atteintes à la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique. Les vétérinaires devront accompagner les transformations de l'élevage (conduite adaptée, élevage extensif, rusticité et longévité, etc.). Au-delà de la résolution des nouvelles maladies, notamment d'origine vectorielle, conséquences du réchauffement climatique et des échanges commerciaux, le vétérinaire sera probablement amené à intervenir de façon plus globale dans le cadre de la transition agro-écologique et de l'observation des règles de l'économie circulaire en élevage.
Un exercice en pleine mutation
Après d'autres professions médicales, dont les laboratoires médicaux et les chirurgiens-dentistes, le mode d'exercice même de notre profession est en pleine mutation. De nombreux vétérinaires de la génération des baby-boomers, dans un opportunisme d'intérêts financiers bien compris, sont la proie désignée et consentante de chaînes de cliniques vétérinaires à composantes de financiarisation et de concentration. Celles-ci interfèrent avec une génération plus exigeante sur le plan personnel, dans l'attente de conditions de travail confortables et qui, par des horaires adaptés, n'empiètent pas sur la vie personnelle et préservent les loisirs ou les activités sportives et le temps personnel, dont celui consacré à la famille. La conception de l'indépendance professionnelle n'est plus appréhendée de la même façon, le salariat est vécu comme une libération et les équilibres professionnels, notamment des retraites des libéraux, s'en trouvent déstabilisés mais pas seulement. Les réseaux commerciaux de nos centrales d'achat sont exposés à des stratégies nouvelles de la part des chaînes de cliniques privées et des réseaux de cliniques vétérinaires. De plus en plus souvent, les centrales d'achat doivent subir des décisions brutales et conséquentes en matière de marché. Pour elles, la relation avec le vétérinaire traitant ne relève plus des mêmes objectifs, le financier n'étant plus aussi clairement de leur pouvoir décisionnel. Pour autant, les entrepreneurs les plus libéraux de nos jeunes vétérinaires entendent réagir pour défendre la ligne libérale de la profession, prennent en charge eux-mêmes la gestion de leurs structures pour s'approprier les bénéfices qui pouvaient leur avoir échappé par défaut d'esprit entrepreneurial suffisamment aguerri. Un nouveau syndicat s'est même créé face au Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral défendant pourtant les mêmes intérêts. Ces établissements vétérinaires financiarisés seront-ils aptes à préserver au mieux le relationnel et le lien affectif qui caractérisaient l'exercice vétérinaire traditionnel ? Davantage de professionnalisme et un exercice reposant sur les protocoles systématiques pour des vétérinaires dans des cliniques standardisées vont-ils rassurer des propriétaires inquiets et toujours dans l'attente d'une relation avec le vétérinaire ou entre le vétérinaire et l'animal plutôt dominée par l'affect ? C'est l'esprit et l'expérience du compagnonnage qui ont souvent fait le succès de l'exercice libéral auprès de la clientèle. Tout cela méritera d'être évoqué, développé et évalué dans les pages de cette revue, d'autant plus que des questions relatives à l'indépendance des vétérinaires exerçant au sein des chaînes de cliniques vis-à-vis de la législation sont en cours de traitement sur les plans ordinal et judiciaire. La délégation d'actes est aussi un dossier en cours complexe. Il est en attente de résolution législative et pourrait concerner les cliniciens quel que soit leur mode d'exercice.
Un peu d'optimisme
Pour terminer par une note délibérément optimiste sachons reconnaître que l'exercice professionnel dans la médecine des animaux de compagnie n'a jamais été aussi florissant et que les établissements vétérinaires n'ont jamais été si bien équipés sur le plan technique, à titre d'exemple le nombre de scanners et d'IRM sur notre territoire a explosé depuis les 2 dernières décennies. Beaucoup d'établissements vétérinaires sont plutôt en manque de spécialistes, et la relation spécialistes-vétérinaires traitants pourrait faire l'objet d'un débat très intéressant sur la façon de recourir aux compétences spécialisées en préservant au mieux la relation privilégiée du propriétaire de l'animal avec son vétérinaire traitant. Nous devons constater malgré tout que si nous sommes en présence d'une profession qui fait bonne place à la financiarisation, à la concentration, au salariat, à la spécialisation, elle témoigne toujours d'une grande diversité de modes d'exercice avec une offre de soins toujours renouvelée. En témoigne l'exercice encore embryonnaire de la télémédecine ou de la médecine vétérinaire pour tous, médecine vétérinaire solidaire pour les animaux des personnes les plus démunies. Nous sommes aussi dans l'attente d'évolutions dans le domaine des données. Quand en médecine humaine se développent de gigantesques centres de données sur la santé, les Health Data Hub, qu'en est-il en médecine vétérinaire ? Elle a contribué à la mise en place de diverses structures en matière d'épidémiosurveillance chez l'animal de rente, pour les équidés ou pour la faune sauvage. Ces données reliées aux techniques d'élevage, particulièrement celles des robots de traite des élevages laitiers, sont de la plus haute importance dans le suivi de ces élevages à condition qu'elles soient fiables, bien collectées, bien gérées et mises à la disposition des éleveurs, des vétérinaires et des chercheurs sans être détournées par les seules entreprises intervenant dans ces élevages. Le problème d'un centre de données sur la santé des animaux de compagnie se pose : associé à l'intelligence artificielle qui se nourrit de telles données, on pourrait en attendre des retombées inattendues en matière de médecine préventive et de recherche y compris comparée.
Félicitations enfin à Claudie Damour-Terrasson et à toute son équipe pour le lancement de cette belle revue Médecine & Chirurgie Animales des plus prometteuses et à laquelle on souhaite plein de succès pour une belle et longue vie en trouvant très vite son lectorat. ●