Pas tous les jours qu'on a une nouvelle revue que le lecteur friand de nouveautés peut embarquer dans un nouveau voyage. Comme vous, j'ai apprécié naviguer sur la Hanche, découvert bien des Ports en tournant bien des pages et au terme du voyage rencontrer LA PROTHÈSE, l'inévitable prothèse de hanche qui tant me fit courir ! J'ai aimé ces chemins qui m'ont conduit vers elle, jusqu'à en oublier qu'une Prothèse bien posée, c'est tout de même très chouette. Reste qu'à l'heure où l'on décide ce qui est bon pour l'autre, il faudra convoquer les connaissances acquises et beaucoup d'altruisme pour un choix convenable.
La hanche ! Lequel d'entre nous, voulant illustrer son discours devant un client, n'a jamais fait le geste de faire tourner le poing dans le creux de sa main ? Tout simple et tellement imagé à condition de préciser que, dans les espèces canine et féline, on ne confond pas l'articulation avec une région anatomique de l'Homme qui n'a rien d'articulaire.
Sincèrement, de toutes les articulations, elle est bien “la plus bête” (là, je sors mon joker). Une preuve ? Ne fut-elle pas la première à être “prothésée” offrant dans la foulée ses lettres de noblesse à la chirurgie orthopédique, devenant ainsi chirurgie de remplacement.
Courage Homo sapiens, tu tends vers le sacré !
Qu'en pensait le vieil homme qui, ce soir-là, quittait la clinique dans les pas de son chien ? Tous deux n'allaient pas vite, mais ils allaient ensemble. Fallait-il vraiment lui fourrer la prothèse dans la tête du haut de mon enthousiasme irraisonné ? Sûr qu'il n'en demandait pas tant et je n'ai jamais oublié son rappel à l'ordre silencieux.
N'empêche que, quelques centaines de gants plus tard, me voilà responsable de l'unité chirurgicale du CHAIF (Centre hospitalier animal de l'Île-de-France), grand ancêtre de nos CHUV et, à ce titre, convaincu ou pas du bien-fondé de la prothèse en gestation, il fallait la poser, le standing l'imposait ainsi que, disons-le, l'amicale et souvent saine rivalité entre les quelques chirurgiens orthopédistes de notre profession. Résultat ? Tous à Columbus en 1979 pour le Cours sur la prothèse de hanche canine où nous formions et de loin la délégation la plus musclée.
C'est l'été et je parcours au trot les très larges plates-bandes courant le long des résidences proches du campus géant de l'Université d'Ohio.
À mes côtés, une jeune chienne Rottweiler (Good Sam), doublement “prothésée”. Elle groupe encore ses postérieurs au galop mais sa course est aisée. Quelques mois à l'université, plus quelques joggings en prime et voilà le Baron PTH-dépendant ! J'en ai acquis les gestes, puis le plateau technique de Richards bref, mission accomplie et je croise à l'aéroport la résidente en chef du département chirurgie de l'université qui me remplaçait au CHAIF pendant mon absence !
Je suis heureux que l'on m'offre dans ces pages très libres l'occasion de rapporter la précieuse main tendue du Pr Bruce Hohn, patron et organisateur du cours.
“To everything turn, turn, turn, there is a season…”1.
Je quitte le CHAIF et mes prothèses. Une fois encore le souffle viendra de l'ouest. À Davis (Université de Californie), le Dr H.A. Paul, ancien “alforien” devenu un ami (la chirurgie rapproche ou bien…), à son retour au pays associé à un chirurgien prothésiste de l'Homme, fait un tabac avec le projet ROBODOC® : une prothèse de hanche non cimentée dont la pose est en partie assistée par un robot. Le contrat avec IBM est clair, pour une pose chez l'Homme, une pose sur un chien. One health et une première pour la robotique chirurgicale. J'accours et bien des vols suivront, il faut accompagner l'affaire pour que peut-être, un jour…
“There is a season…” 1
La maladie emporte le Dr H.A. Paul et s'envole avec lui notre projet d'installer dans notre “clinique alforienne” une plateforme ROBODOC®, sorte de tête de pont pour l'Europe qui pouvait changer le destin de toute la petite équipe. Image de l'ami américain qui, faute de pouvoir poursuivre sa belle aventure, nous confie un associé d'avenir. Les robots ont pour longtemps poussé la porte des blocs opératoires.
Et j'en dirais, tant fut la prothèse aventure mais que d'avions, d'années, de kilomètres d'espoirs et de déceptions pour qu'enfin, au fond de son cotyle tout neuf, puisse vivre librement la petite bille d'acier qui existe même “en chat” ! Et roule ma bouledans sa cupule toute neuve ! C'est si simple dit comme ça, mais est-ce vraiment aussi simple de faire ce qu'on a décidé ?
La mise en place, çà et là en France, d'unités de soins plus complexes, accueillant plus de spécialistes, a considérablement élargi le champ des possibles ; elle devrait ouvrir sur une plus grande liberté. À condition de rester vigilants. ●
1 Musique : Pete Seeger et Judy Collins, Turn, turn, turn.