Une rupture en médicaments est définie comme l’impossibilité pour un ayant droit de s’approvisionner sur le marché national en médicaments vétérinaires. C’est le cas quand il n’y a plus de médicaments en stock dans les centrales d’achat ou chez le laboratoire exploitant.
Comme en médecine humaine, ces ruptures peuvent avoir de graves conséquences ainsi qu’un impact négatif sur la crédibilité des vétérinaires auprès des propriétaires d’animaux et des éleveurs. Plus de 80 ruptures sont recensées annuellement et une quinzaine sont jugées critiques par l’ANSES-ANMV lorsqu’elles sont susceptibles d’induire un risque pour la santé humaine ou la santé et le bien-être des animaux [1].
Les causes des ruptures sont mondiales et multifactorielles. Devant l’accroissement des normes qualité et environnementales, beaucoup de sites de fabrication ne peuvent pas réaliser les investissements suffisants pour répondre aux exigences des autorités compétentes. Le nombre de sites capables de produire un principe actif est donc de plus en plus limité, ce qui augmente le risque de rupture en cas de dysfonctionnement. Ce mécanisme est accentué par la baisse des prix de vente des médicaments, notamment dans les pays industrialisés.
Depuis la pandémie de Covid-19, le contexte politique mondial exerce une influence directe sur les échanges commerciaux et peut être la cause de retards d’approvisionnement en matières premières rendant par là même impossible la fabrication du médicament ou désorganisant la chaîne de distribution. La pandémie et le contexte politique sont également responsables de l’instabilité de la demande dans certaines zones géographiques, ce qui accroît la tension sur une production mondialisée.
Avec des flux de plus en plus tendus, le moindre imprévu lors de la fabrication entraîne des conséquences sur la disponibilité des médicaments.
Ces dernières années, le Brexit, qui a entraîné la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, a nécessité la relocalisation de certaines activités pharmaceutiques comme le contrôle ou l’exploitation des médicaments sur le sol européen. Ces opérations de relocalisation n’ayant pas pu toutes être anticipées ont provoqué des retards de production et de distribution.
L’augmentation constante du nombre d’animaux pris en charge médicalement dans le monde est également responsable d’une croissance régulière de la consommation de médicaments, qui n’a pas forcément été suffisamment anticipée et qui peut être à l’origine de tensions d’approvisionnement.
Bien que les autorités nationales et européennes se soient saisies du problème, notamment en éditant un guide Bonnes Pratiques pour la gestion des ruptures d’approvisionnement d’un médicament vétérinaire, leur nombre ne cesse de croître avec un record établi en 2022 où 25 ruptures critiques ont été enregistrées.
Face à ce phénomène, le vétérinaire clinicien peut se retrouver dépourvu, pourtant, dans un certain nombre de cas, il existe une alternative à la rupture de spécialités pharmaceutiques vétérinaires en ayant recours à la préparation extemporanée vétérinaire.
La préparation extemporanée vétérinaire est définie à l’article L.5141-2 du Code de la santé publique (CSP) comme tout médicament vétérinaire qui n’est pas préparé à l’avance contrairement aux spécialités pharmaceutiques vétérinaires qui sont, pour leur part, des médicaments préparés à l’avance selon un procédé industriel, sous un conditionnement particulier et caractérisés par une dénomination spéciale (article L.5141-1 du CSP). En termes plus profanes, la préparation extemporanée, comme son nom l’indique, est préparée “à la demande” par une personne habilitée (pharmacien, préparateur en pharmacie ou vétérinaire) sur présentation d’une prescription vétérinaire. Elle ne peut donc être réalisée avant que la personne habilitée dispose de l’ordonnance. Afin d’éviter une impasse thérapeutique, en application du dispositif dit de la cascade, le vétérinaire peut prescrire une préparation extemporanée dès lors qu’aucune spécialité pharmaceutique vétérinaire autorisée dans un État membre de l’Union européenne ou qu’aucune spécialité pharmaceutique humaine autorisée appropriée n’est disponible en France (articles 112 à 114 du règlement (UE) 2019/6). Initialement prévu pour compenser l’absence de spécialité vétérinaire autorisée en France pour la pathologie ou l’espèce considérées, le recours au dispositif de la cascade s’étend désormais de plus en plus aux ruptures d’approvisionnement en spécialités pharmaceutiques vétérinaires.
Une instruction technique de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) précise les différents termes repris par le législateur dans les conditions d’application de la cascade (DGAL/SDSBEA/2023-390 du 19 juin 2023).
Ainsi, lorsqu’il est fait référence à un médicament vétérinaire autorisé, il faut comprendre une spécialité pharmaceutique vétérinaire disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ou d’un enregistrement comme dans le cas des médicaments homéopathiques ou de certaines spécialités vétérinaires destinées aux nouveaux animaux de compagnie.
Le caractère approprié de la spécialité pharmaceutique vétérinaire fait référence, d’après la DGAL, à un éventuel défaut d’efficacité, comme une résistance de l’agent pathogène au principe actif contenu dans la spécialité. Ce manque d’efficacité doit cependant être justifié par le vétérinaire à l’aide de publications scientifiques ou de déclarations de pharmacovigilance.
Le manque d’efficacité n’est cependant ni le seul cas ni le cas le plus fréquent, pour lequel le vétérinaire peut recourir au dispositif de la cascade. Une forme pharmaceutique, un conditionnement ou un dosage inappropriés sont bien plus courants. D’une façon générale le caractère approprié d’une spécialité pharmaceutique vétérinaire est déterminé par le vétérinaire prescripteur sur la base de son jugement professionnel, sur des critères scientifiques, galéniques ou sanitaires et sous sa propre responsabilité. L’instruction technique insiste sur le fait que les critères économiques ne peuvent être retenus pour estimer qu’une spécialité n’est pas appropriée, même si cela va à l’encontre de l’article R.242-44 du Code rural qui stipule qu’une prescription est établie en fonction de ses conséquences économiques pour le propriétaire des animaux.
Enfin, il faut entendre par “non disponible” une spécialité dont le vétérinaire n’est plus en mesure, temporairement ou définitivement, de s’approvisionner sur le marché. Cette indisponibilité peut être la cause d’un retrait ou d’une suspension d’autorisation, d’un arrêt de commercialisation, mais aussi d’une tension d’approvisionnement. Sauf dans le cas des situations d’urgence, la rupture de stock dans l’établissement de soins vétérinaires ou à la centrale d’achat ne constitue pas un motif d’indisponibilité tel que l’entend le législateur dans le cadre de la cascade.
Quel que soit le motif, tout recours à une préparation extemporanée vétérinaire dans le cadre du dispositif de la cascade doit faire l’objet d’une prescription (article L.5143-5 du CSP) qui devra l’indiquer clairement (article 105 point l du règlement (UE) 2019/6). Ainsi, un vétérinaire prescrivant une préparation extemporanée notera sur l’ordonnance une mention du type “Prescription selon l’article 112 du règlement UE 2019/6”. L’ordonnance ainsi que l’administration de la préparation prescrite relèvent de l’entière responsabilité du vétérinaire prescripteur, même si le traitement est administré par le propriétaire de l’animal (article L.5143-4 du CSP).
Il est important de préciser que toutes les préparations extemporanées ne sont pas légalement réalisables. Ainsi, pour les animaux producteurs de denrées, seuls les principes actifs inscrits dans le tableau 1 de l’annexe du règlement (UE) 37/2010, c’est-à-dire les substances pharmacologiquement actives pour lesquelles une étude de résidus favorable a été menée, peuvent être incorporés dans une préparation extemporanée (règlement (CE) 470/2009).
Les mêmes restrictions s’appliquent aux équidés n’étant pas destinés à l’abattage pour la consommation humaine, sauf pour les principes actifs relevant de la liste de substances essentielles pour le traitement des équidés (règlement (UE) 122/2013).
De même, certains principes actifs réservés à la médecine humaine comme certains antibiotiques ou antiviraux ne peuvent entrer dans la composition d’une préparation extemporanée vétérinaire.
Les préparations extemporanées stériles, comme des préparations parentérales ou des collyres, ne sont pas non plus réalisables en raison des contraintes techniques de qualité qui ne sont accessibles ni aux vétérinaires ni aux pharmaciens de ville. À ce jour, seules les structures hospitalières humaines disposent des moyens permettant de garantir la qualité des préparations stériles, mais ces dernières ne peuvent fournir le circuit vétérinaire.
Une fois que le vétérinaire s’est assuré que le recours à une préparation extemporanée vétérinaire respecte les contraintes réglementaires, plusieurs possibilités s’offrent à lui pour obtenir cette préparation.
Le vétérinaire peut lui-même réaliser la préparation à condition de disposer des équipements et des compétences nécessaires et de se conformer aux bonnes pratiques de préparations extemporanées vétérinaires telles que définies par l’arrêté du 9 juin 2004 (en cours de révision). Cette prérogative accordée aux vétérinaires lui permet de délivrer lui-même le traitement qu’il a prescrit et réalisé, mais s’avère contraignante du point de vue de sa mise en application, donc souvent peu rentable.
Il est également possible de se contenter de prescrire la préparation extemporanée et de confier la délivrance à un pharmacien d’officine, comme cela se fait pour les spécialités pharmaceutiques humaines. Cependant, dans ce cas de figure, le vétérinaire n’effectue pas lui-même la délivrance et il arrive fréquemment que le pharmacien ne puisse réaliser lui-même la préparation ou la sous-traiter et qu’il refuse la délivrance. Le propriétaire se trouve alors dans une situation délicate.
Depuis 2022, les vétérinaires peuvent également sous-traiter directement la réalisation des préparations extemporanées à une pharmacie de ville, une école vétérinaire ou un établissement pharmaceutique autorisé (article L.5143-9-1 du CSP). Cette opportunité permet au vétérinaire d’assurer lui-même la délivrance du traitement sans avoir à réaliser la préparation.
La prescription de préparations extemporanées, bien que très encadrée réglementairement, apporte bien souvent une solution aux ruptures de spécialités pharmaceutiques vétérinaires. Dans de nombreux cas, la disponibilité du principe actif n’est pas la cause de la rupture et ce dernier est donc disponible pour la réalisation de préparations extemporanées.
Quelques pharmacies sous-traitantes se sont spécialisées dans la réalisation de préparations extemporanées vétérinaires et sont très présentes sur les réseaux et dans les manifestations professionnelles vétérinaires. Ces pharmacies disposent d’applications facilitant les commandes et peuvent fournir aux vétérinaires des préparations conformes à la législation dans un délai très raisonnable. Néanmoins, le vétérinaire reste responsable de la délivrance, c’est à lui qu’il incombe d’assurer la traçabilité de la préparation à travers un registre des préparations et du registre de délivrance (article 104 du règlement (UE) 2019/6). ●