La formation clinique, indispensable à la majorité des diplômés vétérinaires qui se destinent à une activité de praticiens, et une formation par la recherche, choisie par de rares étudiants particulièrement motivés, ont trop longtemps été opposées dans les Écoles nationales vétérinaires françaises (ENVF). Au contraire, il est indispensable que toutes les composantes de la profession vétérinaire agissent afin que ces deux approches d’acquisition de compétences soient rendues complémentaires pour tous les étudiants français, y compris pour veiller à l’exercice raisonné de la médecine et de la chirurgie vétérinaires. Pour être réelle et généralisée, cette complémentarité devrait faire l’objet d’instructions ministérielles.
Grâce à l’acquisition du raisonnement clinique, le vétérinaire peut conduire les actions les plus appropriées en synthétisant les informations obtenues face à un tableau clinique et en les intégrant dans les connaissances et expériences antérieures. Ces processus complexes de pensée et de prise de décision associent les stratégies analytique du raisonnement hypothéticodéductif et non analytique, comme la reconnaissance spontanée d’une association de signes cliniques. L’efficacité de ces raisonnements dépend, bien sûr, de l’acquisition simultanée des connaissances médicales nécessaires, en incluant celles apportées par les sciences dites “fondamentales” ou “précliniques”.
Mais cette efficacité peut aussi être améliorée par les modes de raisonnement et les compétences acquises grâce à une formation par la recherche, notamment en développant l’esprit critique, le doute scientifique, la curiosité, le goût de l’innovation, celui de l’exploration de l’inconnu, la ténacité, etc. Pourtant, dans les ENVF, cette formation par la recherche est trop laissée à des initiatives personnelles, de sorte que très peu de vétérinaires en bénéficient.
Face à ce constat, l’Académie vétérinaire de France (AVF) a souligné dans plusieurs de ses avis que le maintien à haut niveau de la formation clinique des étudiants nécessite, notamment, de repenser le fonctionnement des centres hospitaliers universitaires (CHUV) des ENVF. Le modèle des CHUV doit en effet être actualisé pour atteindre un volume d’activité suffisant pour assurer à tous une formation par la clinique complète, d’autant que ces CHUV doivent faire face à une augmentation du numerus clausus. Cette évolution doit aussi inclure un renforcement des activités de recherche clinique visant, d’une part, la production de connaissances scientifiques et, d’autre part, l’acquisition de compétences par les étudiants grâce à des séquences de formation par la recherche, entre autres autour de la spécificité “modèles animaux spontanés et recherche clinique vétérinaire”.
Mais, au-delà de quelques initiatives individuelles, la synergie entre formation clinique et formation par la recherche ne pourra être réelle et généralisée que si la formation par la recherche est vraiment institutionnalisée dans les ENVF, comme l’a recommandé encore récemment un avis de l’AVF [1]. Dès la première année d’études, puis tout au long du cursus, tous les étudiants devraient être sensibilisés à la recherche par un “parcours de formation obligatoire” validé. Cela compléterait les compétences acquises grâce à la formation clinique et, de surcroît, permettrait de former plus de vétérinaires pouvant ensuite contribuer plus efficacement à la recherche scientifique, y compris en valorisant par des publications de qualité le gisement de données que génèrent les activités cliniques.
En outre, cette formation de tous les étudiants vétérinaires par la recherche favoriserait, pour une plus grande partie d’entre eux, l’acquisition des prérequis à la réalisation d’un doctorat d’université. En effet, un nombre significatif de “docteurs vétérinaires-docteurs d’université” constituerait un indicateur d’excellence pour l’ensemble de la profession. Or, des rapports [2] ont révélé qu’il y avait un nombre insuffisant de ces doubles diplômés “vétérinaires-masters” et “vétérinaires-docteurs d’université” pour supporter la comparaison avec les autres grandes écoles et pour répondre à l’ensemble des attentes des employeurs publics et privés. La séance organisée par l’AVF le 13 janvier 2020 sur “l’apport scientifique d’une formation par la recherche pour les diplômés des ENVF” a permis de souligner des engagements individuels motivés en direction de cette formation par la recherche, avec des succès ponctuels, mais elle a aussi révélé un manque d’instruction et de soutien institutionnels qui garantirait la généralisation d’une telle formation, donc aurait un impact plus significatif.
Il faut rappeler que, dans le passé, la création du doctorat d’exercice vétérinaire, obtenue de haute lutte (loi du 31 juillet 1923, décret du 28 mars 1924), a constitué un saut qualitatif pour la reconnaissance scientifique des vétérinaires. Nous pensons qu’aujourd’hui l’obtention d’un doctorat d’université par un plus grand nombre d’entre eux permettrait un saut qualitatif supplémentaire de l’ensemble de la profession vétérinaire, y compris dans l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux, et de son ancrage dans le monde médical et scientifique.
Pour symboliser son engagement en faveur de cette formation par la recherche pour les vétérinaires, l’AVF a décidé de décerner annuellement, à partir de 2022, un prix de thèse d’université pour des diplômés des ENVF.
L’ensemble de la profession vétérinaire doit se mobiliser auprès des pouvoirs publics français pour promouvoir une vision ambitieuse de la formation par la clinique et la recherche dispensée par les ENVF et, par voie de conséquence, d’une profession vétérinaire de haut niveau en phase avec les enjeux sociétaux du XXIe siècle. Face à des approches court-termistes et partielles, il convient d’agir avec lucidité et ténacité en faveur d’une formation vétérinaire “universitaire”, qui soit aussi indépendante des lobbies et des intérêts privés. Cette indépendance est indispensable afin que la profession vétérinaire puisse aussi, à côté de la médecine et de la chirurgie des animaux, continuer à assurer de façon crédible une autre de ses missions, la sécurité sanitaire des aliments et la santé publique vétérinaire. ●