L'enfant est passé aux urgences pédiatriques où, après un examen clinique soigneux, ses douleurs abdominales ont fait prescrire un abdomen sans préparation (ASP) à la recherche d'une stase stercorale (attitude pourtant non indiquée selon la recommandation de la Haute Autorité de santé sur la pratique de l'ASP [1]). Devant la présence d'images évoquant une rétention de selles dans le cadre colique (mais n'est-ce pas la fonction du côlon que d'héberger des selles ?), un lavement évacuateur a été réalisé. Après 2 heures et demie passées dans le service des urgences, épuisé, l'enfant est « calmé »… malgré un lavement jugé peu productif !
Deux semaines plus tard, une nouvelle consultation en ambulatoire pour le même motif conduit à prescrire un bilan biologique et une échographie, dont l'interprétation stipule : « adénolymphite mésentérique ».
Un avis d'un « centre de référence » est requis par le radiologue (le réseau de soins n'a pourtant désigné aucun centre expert en douleurs abdominales !).
« Docteur », s'exclame Mme S., « il a des ganglions dans le ventre, j'espère que ce n'est pas un cancer… Comment faire fondre ces ganglions ? »
Tel est le parcours de Romain, 8 ans, et de sa maman. Une « chronique d'un parcours médical annoncé » pour un enfant souffrant du ventre, enfant « anonyme »… et pourtant si singulier.
Comment combler le hiatus entre la demande d'une mère qui attend d'un spécialiste la « fonte » des ganglions et la prise en soins d'un médecin qui va traiter une pathologie fonctionnelle ?
Pour beaucoup de parents, tout symptôme chez leur enfant exige une interprétation diagnostique confirmée par des examens complémentaires et doit mener à un traitement adapté. Or, parfois, ces examens sont source d'« incidentalomes » qui éloignent du diagnostic. Dans l'étude menée par P. Quitadamo et al., des adénopathies sont ainsi découvertes à l'échographie chez des enfants de 8 ans asymptomatiques dans près de 90 % des cas [2].
Une fois le caractère organique de la plainte éliminé, il faut aborder l'étape de l'annonce diagnostique. Si la cause n'est pas organique, serait-elle donc psychologique ?
Le terme « troubles somatoformes » est la nouvelle appellation des troubles psychosomatiques. Dans le terme « psychosomatique », les parents retiennent surtout « psycho », et ce « psycho » laisse à penser que l'enfant feint, là où la plainte est importante et réelle. Celle-ci doit être écoutée, entendue avec un projet de soins à proposer.
Le succès de la prise en charge de ces enfants qui souffrent de troubles fonctionnels réside donc dans l'annonce diagnostique et le plan personnalisé de soins. Il sera alors indispensable de voir et revoir l'enfant et sa famille, la médecine étant un art « cinématographique » et non « photographique ».
En ce qui concerne les troubles fonctionnels intestinaux (TFI), une polarité positive et constructive va naître de l'affirmation, convaincue et convaincante, que l'enfant souffre de symptômes bien décrits dans la classification des critères de Rome IV (dyspepsie, migraine abdominale, syndrome de l'intestin irritable ou douleurs abdominales fonctionnelles). L'explication du trouble aux parents et à l'enfant est ensuite fondamentale (« en sachant d'où tu viens, je te dirai où tu vas »).
Les TFI obéissent au modèle biopsychosocial. Sur un terrain déterminé (génétique, profil de personnalité, etc.), dans un environnement propice, un phénomène déclencheur (infection, allergie, choc traumatique, etc.) est responsable de l'apparition de symptômes réunis sous l'égide d'une entité appelée « hypersensibilité viscérale » [3].
On comprend mieux l'incidence accrue des TFI et, plus généralement, des troubles fonctionnels, à la suite de la pandémie (qu'on les appelle « Covid longs » ou pas…).
Après avoir établi un diagnostic précis et en avoir expliqué la genèse, il faut ensuite entreprendre le traitement.
En attendant de trouver une molécule par sérendipité (capacité à faire par hasard une découverte inattendue et fructueuse dans le domaine scientifique), force est de constater qu'aucun médicament n'a fait la preuve d'une efficacité statistiquement significative dans les TFI.
À l'heure de la découverte d'un traitement médicamenteux contre l'obésité (sémaglutide injectable) [4] ou contre la mucoviscidose (traitement pharmacologique de la protéine CFTR) [5], ce constat reste malheureusement d'actualité.
Seule l'hypnothérapie et certaines formes de thérapies cognitives et comportementales [6] ont démontré une efficacité indiscutable contre les TFI. Dans ce cadre, la lecture de l'article du Pr Tu-Anh Tran sur la méditation pleine conscience dans les maladies chroniques nous éclaire sur la nécessité d'une prise en soins holistique de nos petits patients.
Ainsi, coincés dans notre quotidien, entre les impératifs administratifs, le harcèlement des patients et la peur de se « co-vider » (entendu ici comme vider collectivement notre pratique de ses dimensions multiples, plutôt que de nous enrichir les uns les autres en prenant en compte les pratiques spécifiques de chacun), parcourons ce numéro de Médecine & enfance, qui aborde des sujets variés sans nous arrêter trop longuement sur l'état de la pandémie actuelle.□