Dans le monde de Pasteur, l'allergie est un grand mystère. Fervent promoteur du rôle des micro-organismes dans la fermentation de la bière et la dégradation du vin, Pasteur se doutait-il de l'impact des bactéries dans le développement des réactions allergiques ? Des réactions pouvant aller jusqu'à la mort, lorsque l'armure protectrice de l'être humain se mue instantanément en une cascade réactionnelle foudroyante. Ses capacités immunologiques de protection (en grec ancien, (phúlaxis : « garde », « protection »)) sont inversées jusqu'à ce que son effet devienne celui d'une « anti-protection ».
Entre Pasteur et le XXIe siècle, le progrès dans la mise en évidence des mécanismes de l'allergie n'a jamais cessé, avec la découverte des mastocytes en 1878, de l'histamine en 1953, des immunoglobulines E (IgE) en 1966, du récepteur de forte affinité aux IgE en 1970, du rôle que jouent les cellules présentatrices d'antigène et de la différenciation cellulaire T4 en 1989.
Cependant, ce qui est flagrant, c'est que plus on avait l'impression de connaître l'allergie, plus la prévalence mondiale des maladies allergiques flambait. L'Inserm estime que 25 à 30 % de la population mondiale est aujourd'hui concernée par une maladie allergique !
La réponse est complexe. Les facteurs intervenant dans l'allergie sont multiples, associant une part génétique et une part épigénétique, avec un rôle important de l'environnement et du microbiote intestinal.
Dans les années 1960, les études suggéraient que le microbiote intestinal jouait un rôle actif dans l'éducation du système immunitaire grâce à une communication réciproque et permanente, probablement garante d'un équilibre fin établi entre la « tolérance » et les « phénomènes immunogènes » [1].
L'immunité innée n'est en réalité pas figée. Elle est présente et active depuis la naissance, au contact des muqueuses et épithéliums, en perpétuel mouvement. Elle apprend, évolue, s'améliore, avec un phénomène d'entraînement qui semble être principalement régulé par le microbiote intestinal [2].
La chute du mur de Berlin, en 1989, a permis d'évaluer l'impact environnemental sur certaines maladies, chez des populations de même origine génétique et géographique mais exposées à des environnements complètement différents. Ces études, effectuées sur plus de 30 000 enfants, ont retrouvé un lien significatif entre la vie en Allemagne de l'Ouest et l'apparition d'un asthme et d'une sensibilisation immunologique (IgE spécifiques, tests cutanés allergologiques). Cependant, la prévalence d'eczéma, elle, serait plutôt associée au contact avec un animal, à la présence de fourrures d'animaux dans les chambres, à l'utilisation de gaz dans les intérieurs non ventilés et à la vie à proximité d'un axe pollué. Enfin, le haut niveau d'éducation parental était significativement associé à l'atopie (OR = 2,3) [3].
L'environnement semble donc jouer un rôle déterminant et complexe dans ces pathologies. On peut alors se demander pourquoi le mode de vie pauvre, dans les années 1980, sans excès d'hygiène, était associé à un excès d'eczéma, mais jouait un rôle protecteur pour la sensibilisation immunologique et l'asthme.
Devant ce constat, certains auteurs ont émis l'hypothèse d'un déséquilibre entre 2 grands groupes schématiques de réponse immunitaire : dérégulées, la voie Th1 est responsable de l'auto-immunité, et la voie Th2, de l'allergie [4]. Est-ce finalement le fait de ne pas être exposé à des virus et à des bactéries sollicitant la voie Th1 qui expliquerait l'excès pathologique de la voie Th2 [5] ? La réalité serait bien plus complexe, car, avec l'évolution de notre mode de vie, l'excès d'hygiène et la régression des maladies infectieuses ont été associés à une dérégulation des 2 voies, Th1 et Th2. Entre les années 1950 et les années 2000, les incidences de la maladie de Crohn, de la sclérose en plaques et du diabète de type 1 ont augmenté, tout comme celle de l'asthme [6] !
C'est au cours de cette période que la question de l'environnement bactériologique, endogène et exogène a commencé à être élucidée. Grandir dans un pays en voie de développement est probablement protecteur sur le plan des maladies auto-immunes et de l'allergie, mais cette protection risque d'être perdue en cas de changement d'environnement [7, 8] !
Dans ce contexte, un considérable effort de recherche est à mettre en place dans le domaine de la prévention allergique et auto-immune. Les sociétés savantes ont déjà recommandé la diversification alimentaire pour les enfants entre 4 et 7 mois, y compris (et peut-être même surtout) pour les aliments consommés dans la culture locale et responsables des allergies les plus fréquentes. Nous avons aussi abandonné la stérilisation des biberons et l'hygiène excessive autour des bébés.
N'auriez-vous pas bondi, il y a quelques années, devant une maman qui choisit de sucer la tétine de son enfant tombée par terre, avant de la lui redonner dans un élan de partage microbiologique d'une générosité exceptionnelle ? Pourtant, ce geste protège de l'eczéma, de l'asthme et de l'hyperéosinophilie [9] !
À l'avenir, la prévention devrait porter sur la gestion de l'interaction avec l'environnement, notamment quand il existe un risque médié par un changement brutal de mode de vie ou d'alimentation. Le microbiote est aujourd'hui défini comme un organe à part entière. La recherche pourrait peut-être mieux élucider le langage des 10 000 milliards de bactéries intestinales, des 1 000 milliards de bactéries cutanées, sans oublier les bactéries pulmonaires, buccales, nasales, etc. L'avenir serait ainsi écrit, du moins en partie, par la plume du microbiote.□