Lors de notre dernier éditorial, nous dénoncions la faillite de l'accueil aux urgences pédiatriques. Nous mettions en lumière les différentes causes de ce constat, en insistant sur la nécessité d'accentuer l'effort de couverture vaccinale.
Dans cette ambiance morose, pleine de restrictions d'huile, de moutarde et d'essence (par décence, ne parlons pas de la guerre en Ukraine…), certains leviers de la société actuelle mettent en exergue les “anti” au détriment des “pro”.
En effet, être pour l'environnement, c'est être “antiviande” avec animo… sité. Quitte à sevrer des écoliers de source en fer dans les cantines de certaines villes. Rappelons que la carence martiale est la carence la plus fréquente au monde et qu'elle crée une empreinte nutritionnelle délétère (séquelles neuropsychiques selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments) [1]. Or, c'était parfois, pour certains enfants, le seul endroit où ils pouvaient consommer du fer.
Les “antivax” résistent aux injonctions vaccinales en proclamant leur droit au respect de leur corps et de celui de leurs enfants. Auparavant, la résistance, c'était mettre sa vie en jeu pour la liberté des autres ; aujourd'hui, ce serait donc mettre en jeu la vie des autres pour sa propre liberté. Pourtant, nous ne sommes plus confinés. Qui parle de la libre circulation et d'une vie retrouvée grâce au vaccin (alors que le virus court toujours !) ?
La culture du travail a aussi ses “anti”, qui prônent une philosophie qui se décline à présent aussi dans la profession médicale.
Vous auriez vu mon visage interloqué quand un externe me dit vouloir pratiquer dans le service le “quiet quitting”… Pour les non-adeptes, ce “renoncement silencieux” signifie travailler uniquement pendant les heures payées… dans une culture du strict minimum ! (Mais de là à entendre qu'il suffirait que les médecins travaillent 20 % de plus pour éponger la demande de soins !)
Ne soyons pas victimes de la dictature des minorités, qui dictent des lois, en les justifiant par leur droit à la différence. Le respect de chacun exige une conscience sociétale, trop souvent galvaudée. Donnons donc la parole à la majorité (peut-être) silencieuse (sûrement).
Soyons donc “pro” (même si c'est à contre-courant de ce qui fait le buzz…), avec une polarité positive. Pour cela, je cède la plume au Dr El Jurdi, dont l'histoire de vie propose un autre éclairage du paradigme du “tout va mal en France, soyons contre par principe…”.
Pendant mon externat, j'ai été marqué par une de mes patientes partie vivre aux États-Unis. Une maladie grave l'avait obligée à revenir à Paris pour se soigner, avec une prise en charge à 100 %, la maladie en question faisant partie de la liste ALD 30. Partout dans le monde où il n'existe pas de couverture de santé aussi complète que celle de notre pays, les gens vivent avec la peur d'être malade… Là où, aux États-Unis ou dans beaucoup d'autres pays, un cancer peut être synonyme de ruine, d'endettement et de perte de projets de vie pour celles et ceux qui n'ont pas de couverture adaptée, en France, il n'en est rien.
En France, l'absence de la peur de ne pas pouvoir faire face au pire semble avoir été tellement intégrée dans le quotidien de chacun que nous en oublions un fait : la capacité de notre pays à nous protéger à 100 % dans le cadre des affections longue durée. Malgré toutes les difficultés, la France continue à assurer une couverture fondamentale pour chacun d'entre nous, au prix de sacrifices de beaucoup de gens, et de beaucoup de moyens.
Arrivé en France à 18 ans, j'ai grandi au Liban. J'ai connu pendant toute mon enfance la peur de mon père vis-à-vis de toute maladie, parce qu'il n'avait pas de couverture sociale.
Dans le pays des valeurs universelles, de l'excellence et de l'égalité des chances, notre système de santé est un étendard. Mais la bienveillance envers le patient ne peut être pérenne qu'en étant bienveillant avec soi-même. La médecine ouverte, compréhensive et communicante ne peut pas être pratiquée par une personne en souffrance. Se soucier du bien-être des patients suppose d'abord le bien-être du personnel soignant.
Notre système de santé est celui qui a fait d'un jeune étudiant étranger le médecin français que je suis devenu, sans rien me demander, en dehors du travail et de la vocation. Je ne le vois aujourd'hui grandir et perdurer que par un cap de bienveillance, parce que soigner, soutenir, épauler, sont des vocations qui n'existent que quand elles font grandir, sans jamais s'autodétruire. ●