L'actuelle feuille de route du gouvernement, en termes de défis auxquels notre pays fait face en matière de santé et de prévention à l'heure où s'écrivent ces lignes, semblerait entériner, entre autres, deux constats forts [1] : “Une recherche de sens pour les soignants. La crise sanitaire a été un choc frontal pour l'hôpital et ses partenaires” [2] ; “Améliorer notre préparation et nos réponses aux risques sanitaires dans une logique de santé globale” ; sans compter la lutte sans fin contre les inégalités territoriales et les déserts médicaux. En clair, un triptyque consensuel : sauver l'hôpital public, promouvoir le “One Health” et lutter contre les inégalités médicosociales. Parallèlement, l'exécutif s'est doté, après l'auto-extinction du conseil scientifique Covid-19 et du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale (COSV), créés par temps de crise sanitaire, d'un nouveau comité, orienté plus largement sur les risques émergents, au-delà des infections, avec une priorisation de la santé globale. C'est ainsi que le Journal officiel, par arrêté de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministre de la Santé et de la Prévention en date du 16 août 2022, a nommé le Pr Brigitte Autran présidente d'un “comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires”. La constitution d'un tel comité de veille constitue un changement complet de culture, et en soi une bonne nouvelle, a fortiori pour notre discipline, qui n'a de cesse d'engranger les émergences, les crises sanitaires et les réémergences. L'information essentielle, c'est que le champ d'action de ce comité sera largement dédié à la santé globale, qui englobe la santé humaine, la santé de l'environnement et la santé animale. Après H5N1, Ebola, le Chikungunya, le Covid, et désormais la variole du singe, il semblait effectivement opportun de tirer les leçons de l'histoire et d'avancer dans cette approche globale. Reste que le travail de ce nouveau comité sera sans doute aisé sur le plan de la veille scientifique, dès lors que sa constitution sera réellement pluridisciplinaire, contrairement au conseil scientifique, mais compliqué dans son implémentation politique, tant la thématique “One Health” touche, par essence, l'interministériel et l'international, que ce soit sur le plan de l'agroalimentaire, du développement durable, de l'économie ou encore de l'énergie renouvelable, voire de la défense si l'on fait référence au “secret défense” qui entoure les doses vaccinales et le stock de Tecovirimat pour le monkeypox. Scientifiquement, cette priorité est indiscutable : 60 % des maladies infectieuses humaines sont d'origine animale, 40 % des pertes de cultures sont causées par des maladies transmissibles et 20 % des pertes de productions animales mondiales sont liées aux maladies animales [1]. Mais politiquement, l'expérience du Covid nous a prouvé que ce qui est “evidence-based” n'est pas forcément politiquement intelligible. Reste que les séquences récentes des urgences sanitaires placent l'infectiologie en tête de liste, avec l'histoire qui semble bégayer – du VIH à la variole du singe – et où les questions, les enjeux politiques et sanitaires, la question de la prévention combinée au risque de la discrimination, se répètent.
Reste deux niveaux de préoccupations : l'hôpital dans son état actuel est-il en mesure de supporter encore longtemps les nouvelles crises sanitaires ? Peut-on, dans cette situation, se passer de la parole des usagers, que nombre d'institutions en charge de guider les politiques publiques ont laissés de côté ?
Combien de divisions ? Le titre emblématique du récit de l'association Act Up, qui faisait référence à l'hécatombe des victimes du sida avant l'avènement des multithérapies, pourrait désormais s'appliquer, dans un bien moindre degré, à d'autres malades : les insuffisants rénaux ou hépatiques en attente de greffe, les malades hématologiques en attente de greffe de moelle, les cancéreux en quête de place de chimiothérapie avec du personnel formé, la chirurgie cancérologique en panne de blocs opératoires, voire les femmes enceintes à risque, espérant un parcours de soin qualifié… La situation de l'hôpital public, avec ses fermetures croissantes et durables de lits et de blocs opératoires faute de personnels paramédicaux, la crise des urgences prise isolément comme levier politique, l'insuffisance du Ségur alors que la santé est dans le top 3 des préoccupations des Français, le manque d'attractivité de certaines spécialités aspirées par l'appel du privé ou de l'intérim, conduisent inévitablement à des pertes de chances pour les patients.
Les plaintes des associations d'usagers peinent à se faire entendre. Peu de sociétés savantes les soutiennent, les unes par peur des représailles, les autres étant mal à l'aise à l'idée d'une collusion avec des patients jugés “rebelles” par l'administration. La lutte contre le sida avait pourtant écrit de très belles pages autour du rôle du patient-expert. Un collectif de 30 associations [2] a adressé d'abord une lettre ouverte au président de la République le 3 juin et une lettre au directeur général de la Santé le 15 juin. Ces associations ont une nouvelle fois écrit à Emmanuel Macron, à la Première ministre et au ministre de la Santé le 28 juin. “Aujourd'hui, en France, on trie les patients faute de lits”, dénoncent‑elles dans ce courrier.
On y apprend, par des exemples ponctuels ou durables, qu'au CHU de Toulouse, l'un des plus dynamiques de France en matière de greffe rénale de donneurs vivants, certaines transplantations seraient reportées à 2024 alors que, jusqu'à récemment, elles étaient réalisées en 3 à 6 mois. Ou encore qu'au CHU de Bordeaux, les patients atteints d'un lymphome ayant plus de 70 ans ne pourraient plus bénéficier d'un traitement révolutionnaire par des cellules dites CAR-T. Elles guérissent pourtant 30 à 40 % des malades présentant un lymphome agressif en rechute, alors qu'en l'absence de ce traitement, l'espérance de vie moyenne tombe à 6 mois. On y découvre aussi que 39 % des centres de thérapie cellulaire français devraient sélectionner davantage leurs patients, faute de personnel suffisant.
Pourtant, par manque d'une parole publiquement portée, d'activistes en leur sein, de plaidoyer politiquement repris, ces associations de malades sont encore inaudibles. L'actualité politique et sanitaire reste focalisée sur les urgences, dans le sillage de la “mission flash” de l'actuel ministre de la Santé. Or, les services d'accueil des urgences (SAU) ne sont que le “canari de la mine”, celui qui prévient des émanations de gaz toxiques. La crise des urgences renvoie au défaut d'organisation de l'amont – “open bar” des SAU sans triage, déserts médicaux, spécialités en tension comme la pédiatrie de ville, la médecine générale, la gériatrie… – et à la question de l'aval, avec ses fermetures de lits faute de personnel non médical et l'embouteillage des services de soins de suite.
Alors, des associations d'usagers réfléchissent. Après avoir épuisé demandes de rendez‑vous ministériels, plaidoyers, tribunes médiatiques, pétitions, elles cherchent une autre forme d'action : le happening dans la pure tradition de la lutte contre le sida. Mais est-ce utile ? Imaginable ? Réponse dans les semaines à venir. ●