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Éditorial

Ecole, neurosciences, neuroéducation, neuropédagogie … Des neuro-illusions cognitives ?


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Il existe depuis quelques années une relative confusion dans l'évocation des disciplines scientifiques invoquées pour décrire des résultats d'études liées à l'école ou aux apprentissages. Cette confusion s'accompagne d'une tendance à vouloir ajouter le préfixe « neuro » à toutes les disciplines, comme si cela leur permettait d'être considérées comme plus scientifiques ou sérieuses.

Ainsi, le concept de neurosciences est souvent utilisé, à tort, pour décrire des études produites par la psychologie expérimentale. Schématiquement, alors que la psychologie s'intéresse plutôt aux comportements et aux représentations mentales, les neurosciences examinent leurs corrélats neuronaux grâce aux progrès récents des méthodes d'imagerie cérébrale. Par exemple, l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) permet d'examiner in vivo l'activité cérébrale de personnes volontaires en train d'effectuer certaines tâches comportementales (comme lire des mots, regarder des images, etc.) dans des conditions expérimentales précises (seules et allongées dans un scanner).

Ces deux niveaux d'analyse, le niveau comportemental et le niveau cérébral, sont bien évidemment complémentaires, mais ils ne doivent pas être confondus, car l'un n'explique pas l'autre. Par exemple, affirmer que les neurosciences valident la pédagogie Montessori est un abus de langage.

En effet, quelques études quantitatives issues de la psychologie montrent des effets bénéfiques de la méthode Montessori sur les performances des enfants (dans les tâches académiques, en mesurant les fonctions exécutives, la créativité, etc.) ; d'autres n'observent pas de différence avec des enfants scolarisés dans des écoles traditionnelles. Mais toutes ces études fondent leurs analyses sur des données comportementales [1]. Il n'existe pas à ma connaissance de recherches publiées montrant chez des enfants une signature cérébrale spécifique due aux effets de la pédagogie Montessori. Il existe en revanche des études neuroscientifiques qui révèlent l'importance du « réseau de mode par défaut » (RMD) [2], ce dernier désignant un réseau constitué des régions cérébrales actives lorsqu'un individu n'est pas focalisé sur le monde extérieur et lorsque le cerveau est au repos mais actif. Ainsi, durant la réalisation d'une tâche, le RMD est désactivé et un autre réseau est activé. Des travaux chez l'adulte montrent que ce RMD serait associé aux idées créatives [3].

Nous pouvons seulement faire l'hypothèse que les effets bénéfiques de la méthode Montessori, notamment sur la créativité, pourraient être liés à la grande autonomie dont l'enfant dispose dans l'organisation de son travail, autonomie qui lui permet d'inclure plus aisément des temps de pause spontanés correspondant à ses propres besoins. Ces pauses pourraient activer plus facilement le RMD. Des recherches psychologiques et neuroscientifiques sont bien entendu nécessaires pour tester cette hypothèse au niveau comportemental et au niveau cérébral.

La confusion entre neurosciences et psychologie expérimentale est entretenue plus ou moins consciemment dans l'espace médiatique par certains journalistes et chercheurs. Elle résulte probablement d'une illusion cognitive, autrement dit d'une erreur systématique partagée par le plus grand nombre. En effet, les recherches psychologiques comportementales montrent qu'ajouter le préfixe «neuro » en accompagnant le discours de belles images de cerveau (plus particulièrement en 3D) rend plus crédible l'information transmise auprès d'adultes naïfs [4, 5]. En conclusion, méfions-nous des chercheurs quand ils nous montrent de belles images de type neuroscientifique sous une forme facile à saisir [6].

Les sciences cognitives appliquées à l'éducation permettent de prendre en compte les différents niveaux d'analyse et d'explication. Rappelons que leur but est de tenter de décrire et de comprendre les processus cognitifs ou affectifs (des élèves et/ou des enseignants) mis en jeu aux cours des nombreuses activités scolaires [7, 8]. Pour l'un des premiers historiens de cette discipline, les sciences cognitives sont « […] une tentative contemporaine faisant appel à des méthodes empiriques pour répondre à des questions épistémologiques fort anciennes, et plus particulièrement à celles concernant la nature du savoir, ses composantes, ses sources, son développement et son essor » [9]. Il est donc légitime que les sciences cognitives s'intéressent à l'école, milieu dans lequel le savoir et sa construction ont une place centrale. Les sciences cognitives sont un ensemble de disciplines : la psychologie (générale, sociale et du développement), la philosophie, la linguistique, l'anthropologie, l'informatique (et plus particulièrement l'intelligence artificielle) et, enfin, les neurosciences. Si ces disciplines peuvent produire des explications, prédictions, simulations liées à l'école, aucune d'elles ne peut prétendre répondre, à elle seule et de manière sérieuse, aux défis de l'éducation [10].

Les sciences cognitives vont naître et se développer à partir des années 1950, concurremment en trois lieux : aux Etats-Unis, au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où est organisé en 1956 le célèbre « Symposium on Information Theory » (symposium sur la théorie de l'information), et à l'université Harvard, avec la création par Jérôme Bruner et George Miller du Centre d'études cognitives ; en Europe, à l'université de Genève, avec la création par Jean Piaget en 1955 du Centre international d'épistémologie génétique.

En France, cette discipline nouvelle a été reconnue au niveau institutionnel plus tardivement, avec le colloque « Approches de la cognition», organisé en 1987 par Daniel Andler, et avec l'ouverture à Lyon, dans les années 1990, de l'Institut des sciences cognitives. En janvier 1999, l'action concertée incitative (ACI) «Cognitique » a été lancée par le ministère de la Recherche, avec l'objectif d'impulser la recherche dans les sciences cognitives par le développement de collaborations entre, d'une part, les sciences humaines et sociales et, d'autre part, les neurosciences et les sciences pour l'ingénieur (informatique, robotique). La diffusion et la valorisation des travaux français ont été l'objet d'une attention particulière, en coopération avec la Fondation Maison des sciences de l'homme (voir, par exemple, dans l'ouvrage édité en 2008 par G. Chapoutier et R. Jouvent, le chapitre sur la dyslexie [11]). A la suite, le ministère de la Recherche français a lancé le programme de recherches « Ecole et sciences cognitives » [12]. Toutefois, la psychologie scientifique s'est depuis longtemps intéressée à l'éducation, avec, par exemple, les travaux pionniers de Binet (1905) sur les tests d'intelligence, ou ceux de Piaget (1966) sur le développement intellectuel et ses conséquences pédagogiques.

En conclusion, afin d'éviter d'entretenir des flous sémantiques et des illusions cognitives, il est crucial pour tous les chercheurs du champ d'utiliser les concepts corrects pour décrire leurs recherches, avant que les professionnels ne commencent à rejeter les apports (intrinsèquement limités) des neuro sciences cognitives, assimilés à tort aux sciences cognitives appliquées à l'éducation.



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