Éditorial

Accélération du changement de pathocénose pédiatrique et Covid-19


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  • Petit éditorial de sciences humaines adapté à la pédiatrie…
    (Dr Livingstone, I presume?)

Le concept de pathocénose, inventé par l'historien de la médecine Mirko Grmek [1], est l'un des concepts les plus passionnants en anthropologie médicale. Vous vous souvenez peut-être de la description, lors de vos cours de « sciences nat » (que nos enfants appellent dorénavant « essevété »), du concept écologique de biocénose. Le meilleur exemple en est donné par la mare de nos campagnes, où co­­habitent les têtards, poissons, quelques insectes et végétaux, parfois troublée par l'arrivée d'un intrus : un héron ou un pêcheur. Biocénose vient du grec (bíos, « la vie ») et (koinós, « commun »), et désigne donc l'ensemble des espèces vivantes en équilibre plus ou moins stable dans un lieu donné à un instant donné. Pour « pathocénose », le préfixe que tous les médecins connaissent vient de (pathología, « la maladie »). La pathocénose est donc l'ensemble des pathologies en équilibre plus ou moins stable dans un lieu donné à un instant donné.

Ainsi, on aime décrire dans le champ de l'anthropologie médicale les changements de pathocénose entre la France de 1900, qui subissait les effets de la tuberculose, de l'alcoolisme et du manque d'hygiène, mais aussi du rachitisme dans la population pédiatrique, et la France du début du XXIe siècle, où sévissent les maladies de la dégénérescence (cancers, coronaropathies, maladie d'Alzheimer, etc.) et de l'abondance (l'obésité et ses conséquences). Les changements s'appliquent aussi à l'espace, quand on étudie la pathocénose au sein des populations immigrées.

Historiquement, des changements de pathocénose ont pu être profondément révolutionnaires, comme la peste noire de 1347, qui provoqua la mort d'un tiers à la moitié de la population en Europe, ou, à une échelle plus réduite, l'arrivée de nouvelles maladies véhiculées par les Européens lors des grandes découvertes. Ainsi, les îles Marquises, en Polynésie, ont failli vivre l'extinction de leur peuple autochtone et ne se sont jamais remises de ce désastre sanitaire.

Depuis que l'anthropologie médicale existe, nous pensions que, pour changer de pathocénose, il fallait attendre une génération ou s'éloigner de quelques milliers de kilomètres. Or, les événements sanitaires auxquels nous assistons depuis 2 ans et leurs conséquences en termes de mesures de santé publique ont provoqué une accélération du changement de pathocénose. Cette modification, aussi brutale qu'inattendue, doit attirer notre attention.

Si l'infection due à cette variante du coronavirus n'a eu en tant que telle que peu de conséquences directes sur la population pédiatrique, il est surprenant de voir combien la pathocénose a pu être modifiée dans nos services hospitaliers et cabinets de consultation pédiatriques. Nous avons assisté à un effondrement des pathologies infectieuses en général, mais plus particulièrement des épidémies qui remplissent habituellement nos services chaque hiver. Plus que le confinement, ce sont les mesures barrières, et tout particulièrement le port du masque, qui semblent déterminantes. Cette situation a aussi permis de s'apercevoir que ces épidémies sont moins purement pédiatriques qu'on le croyait, puisque les adultes sont clairement des vecteurs de contamination [2].

Cette fin d'année 2021 fait apparaître que, sur le plan purement pédiatrique, nous ne sommes pas à la fin des changements de pathocénose, puisque la dette immunitaire, largement annoncée par de grands noms de ­l'infectiologie pédiatrique [3] et méprisée par les autorités, est en train de se payer ! Les épidémies de virus respiratoire syncytial (VRS) et autres virus n'ont jamais été aussi intenses et aussi précoces que cette année, saturant les réanimations pédiatriques, les services d'hospitalisation, les urgences pédiatriques et les cabinets médicaux dès le mois d'octobre. À cette dette immunitaire, sans doute devrons-nous ajouter dans les années à venir les effets néfastes de la dette éducationnelle due aux nombreux mois de scolarisation perdue, qui toucheront davantage encore les familles défavorisées.

Une dette de socialisation est aussi à suivre. Ce phénomène, qui touche tous les âges, n'est pas encore trop évoqué ; cependant, de plus en plus d'enfants et d'adolescents manifestent une phobie scolaire, et de plus en plus d'adultes éprouvent de sérieuses réticences à retourner au travail.

Parallèlement, nous avons assisté à une très forte augmentation des problèmes sociopsychologiques chez les enfants et les adolescents [4]. Les urgences, qualifiées rapidement de « psychiatriques », et dont la cause est souvent sociofamiliale, étaient déjà en grande augmentation depuis une ­décennie, mais elles ont quasiment doublé pendant la crise sanitaire, comme le constate le récent rapport du Défenseur des droits [5]. Ce même rapport montre que la réponse à cette vague de mal-être ne devrait pas se limiter à la seule pédopsychiatrie. La réponse à la détresse de nos adolescents, sans doute plus malheureux et en manque de repères que « fous », ne doit pas être seulement sanitaire, mais aussi sociétale.

Nous ne pouvons pas nous contenter de constater ces changements ; nous devons profiter de cet événement inattendu pour réfléchir aux mesures sociales et de santé publique susceptibles d'améliorer l'avenir de nos enfants et adolescents. Parce que cette accélération brutale de la patho­cénose nous a peut-être fait apercevoir ­l'avenir…□

Références

1. Grmek M. Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale. Paris : Payot, 1994.

2. Angoulvant F et al. Coronavirus disease 2019 pandemic: impact caused by school closure and national lockdown on ­pediatric visits and admissions for viral and nonviral infections – a time series analysis. Clin Infect Dis 2021;72(2):319-22.

3. Cohen R et al. Comment payer la « dette immunitaire » de la pandémie de Covid-19 ? Médecine & enfance 2021;41(5-6):107-13.

4. Racine N et al. Global prevalence of depressive and anxiety symptoms in children and adolescents during Covid-19: a meta-­analysis. JAMA Pediatr 2021;175(11):1142-50.

5. Défenseur des droits. Les conséquences dramatiques de la crise sanitaire sur la santé mentale des enfants. In: Rapport 2021. Santé mentale des enfants : le droit au bien-être. 2021:37-9. https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rae21-num-28.10.21_01access.pdf


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J.V. de Monléon déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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