Éditorial

L’odeur de l’essence…


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Un regard embrumé et des visages mal rasés, une consultation du lundi matin débute après un staff atone où des praticiens désespérés sélectionnent les patients à annuler par manque de place avant de les reprogrammer !

10 heures, box 7 : la maman de Hanna, 8 mois, consulte pour une diarrhée avec un érythème fessier intense résistant aux pommades émollientes et anticandidosiques. Puis les jeunes parents de Tom, 10 mois, consultent pour avis thérapeutique à propos de son “SAMa” (syndrome d’activation mastocytaire) qu’ils ont diagnostiqué grâce à Internet !

La pédiatrie évolue comme la médecine, et les “nouveaux” parents ne sont plus de la même génération que ceux dont nous prenions en soin les enfants il y a 10 ou 20 ans !

Nous nous trouvons face à un double défi : celui d’être sans cesse informés des dernières recommandations pour optimiser notre exercice de l’art de la médecine, et celui d’être en phase avec les modes de pensée et de fonctionnement des parents.

Notre rôle n’est pas d’éduquer les enfants qui viennent consulter, mais d’éduquer les éducateurs que devraient être les parents. Mais doit-on et peut-on éduquer les parents de nos petits patients contre leur gré ? Notre rôle est, en principe, “limité” à la guidance parentale. Ce terme vient de l’anglais “for your guidance”, soit littéralement “pour votre information”. Ce qui signifie l’ensemble des conseils, informations et soutien pour favoriser l’apprentissage du “métier de parents” [1]. Mais est-ce une démission que de ne pas s’échiner à vérifier que tous ces conseils soient bien appliqués, à partir du moment où la santé de l’enfant n’est pas en jeu ?

Les parents de Hanna sont très sensibles à l’écologie et l’environnement, ils militent pour l’utilisation de couches lavables et non de celles à usage unique. Inutile, à notre avis, de tenter de les convaincre sur le ratio de l’impact écologique des couches jetables versus les 19 milliards de mètres cubes d’eau utilisés par an et les 62 millions de tonnes de CO2 émis par les machines à laver sur Terre [2]. Il convient simplement d’insister sur la nécessité de changer plus souvent des couches lavables, qui absorbent peu les agents irritants pour le siège contenus dans les selles, surtout en période diarrhéique. Il n’est pas question d’imposer aux parents d’utiliser des couches jetables mais de les accompagner pour mieux soigner leur enfant. Le médecin doit donc apprendre à protéger et prendre en soin les enfants de parents qui sont adeptes de modes de vie… à la mode.

Les parents de Tom savent tout sur tout avec un téléphone greffé à la main, leur indiquant le meilleur site à consulter pour les “informer”. L’attrait du spectaculaire et du formidable déteint sur la médecine. Ainsi, pour se référer aux hypothèses diagnostiques, les parents évoquent désormais d’emblée des maladies rares, sans parfois une certaine arrogance vis-à-vis du médecin surpris et démuni face à un diagnostic auquel il n’avait pas pensé (ou qu’il ne connaît pas !). Rappelons que, statistiquement, les formes atypiques des maladies fréquentes sont plus nombreuses que les formes typiques des maladies rares ! Le SAMa est un syndrome qui se manifeste par des symptômes épisodiques non spécifiques, gastroentérologiques (RGO, trouble du transit, douleurs abdominales) et cutanés en particulier (flush, prurit, angioœdème, urticaire). Le diagnostic est évoqué devant une élévation de la tryptase en période critique, ce qui n’est pas aisé en pratique. Autant dire que cette maladie rare est peu confirmée (cela fera d’ailleurs un très beau sujet pour un prochain article dans Médecine & enfance !). Le diagnostic ainsi avancé par les parents devant une symptomatologie faite de régurgitations avec éruption intermittente est donc surprenant. Mais il n’y a pas eu de réponse spectaculaire aux différents traitements proposés par les médecins consultés et aucun diagnostic précis n’a été affirmé. Les parents sont de ce fait très inquiets et méfiants, malgré une réassurance médicale. La réassurance est une opération par laquelle un assureur fait garantir par un autre assureur (réassureur) tout ou partie des risques qu’il a lui-même couverts. Sauf que les parents n’ont pas confiance en eux et sont sceptiques devant des diagnostics empiriques sans dénomination précise et sans traitement algorithmique. Ils consultent alors la plateforme du savoir. Sur les moteurs de “recherche” (est-ce là, la “recherche” scientifiquement prouvée, qui a “raison” ?), ils trouvent une entité qui “matche” avec les symptômes… Pourquoi notre enfant ne serait pas atteint de cela ? Un SAMa, ça matche, après tout, pourquoi pas ? D’où le motif de consultation dans un centre spécialisé.

Ensuite, les parents de Denis voulaient que je coupe un frein de langue, qui l’empêchait selon eux de boire au biberon. Leur expliquer que la praxie linguale n’est parfois gênée que lors de l’allaitement maternel mais jamais pendant la prise du biberon : 40 minutes de démonstration physiopathologique, mime et dessin à l’appui !

Ces 3 consultations ne sont qu’un extrait d’une journée de consultation ordinaire, qui va se décliner selon ce même modèle : guidance, réassurance, bienveillance, explications et gestion du doute.

Il est donc indispensable de réduire le hiatus éventuel avec une génération de parents qu’il faut apprendre à mieux connaître pour mieux les accompagner. Un des rappeurs français les plus en vogue, Orelsan, chante dans un de ses beaux titres : L’Odeur de l’essence. Écoutons ce qu’ils écoutent :

  • […] La confiance est morte en même temps que le respect
  • Qu’est-ce qui nous gouverne ? La peur et l’anxiété…
  • Plus personne n’écoute, tout le monde s’exprime…
  • Que des opinions tranchées, rien n’est jamais précis…
  • Plus le temps de réfléchir, tyrannie des chiffres…
  • Pas de solution, que des critiques, tout le monde est sensible, tout le monde est sur la défensive, sujet sensible, personne sensible[…].

Références

1. Laupie V. La guidance parentale : ses liens avec la psychothérapie et la bientraitance. In : Thérapie familiale. Médecine et Hygiène 2004;25:521-9.

2. Langenheim J. Lessive : diminuer son impact. National Geographic, 22 mars 2021. https://www.nationalgeographic.fr/environnement/2021/02/lessive-diminuer-son-impact


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M. Bellaïche déclare ne pas avoir de liens d'intérêts en relation avec cet éditorial.

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