Qui n’a jamais prescrit ou entendu parler de la vertu des pruneaux dans la constipation ? Qui n’a jamais prescrit un régime sans protéines de lait de vache pour voir si le nourrisson ne serait pas moins inconfortable ? Qui n’a pas essayé de convaincre un adolescent à la corpulence généreuse de tenter un régime un peu moins riche en calories ? Un régime “comme j’aime pas”, m’a répondu un jour un enfant de 10 ans pesant 54 kg. Qui n’ a jamais entendu un parent dire avec conviction : “je n’ajoute jamais de sucre dans le yaourt de mon bébé et jamais de sel dans les purées, sinon, il va s’habituer et devenir gros et hypertendu” ! Plusieurs études infirment pourtant cette hypothèse, renforçant l’innocuité d’un apport en sel et sucre dans les habitudes alimentaires ultérieures [1, 2]. Qui n’ a pas entendu le slogan devenu “doctrine” : “Mangez 5 fruits et légumes par jour” ? Comme si notre santé et celle de notre famille en dépendait ! Mais qui connaît l’étude princeps comparant l’effet des vitamines et anti-oxydants consommés pendant 8 ans versus placebo, chez des adultes de 35 à 60 ans ? Le résultat n’est probant que pour le cancer du côlon chez l’homme. La dose proposée de vitamines et anti-oxydants correspondait à 80 g, soit 5 portions de fruits et légumes [3] ! . Les enfants ne sont concernés en rien dans cette étude…
La bien-pensance, le politiquement correct, s’appliquent tout particulièrement à l’alimentation. Le manger sain, manger sous le logo agriculture biologique (“bio”, est-ce vraiment bon ?) s’oppose à la “malbouffe” et à l’obésité dans l’esprit d’une partie de la population. Les régimes 100 % (sans pour sans !), sans lait, sans gluten, voire végétaliens, paraissent pour certains moins déviants qu’une alimentation standard pour omnivores servie dans les cantines.
Alors, quand la diététique peut devenir thérapeutique, il y a engouement. Nous entrons dans le concept de l’alicament. Un alicament est un aliment dont la composition explicitement formulée implique un effet actif sur la santé du consommateur.
Le boom des compléments alimentaires disponibles en pharmacie montre bien l’adhésion positive de la population au concept. Ces compléments, ces “rajouts”, compenseraient-ils un manque, un excès de “sans”… à se faire du mauvais sang ? Sous la dénomination de “produits naturels”, volontiers “bio”, ces produits, vendus sans remboursement, rassurent et prennent une part de marché non négligeable. Contrairement aux médicaments, ils ne sont pas soumis aux mêmes exigences de mise sur le marché. La conséquence en est que la majorité d’entre eux allègue des effets sans avoir fait l’objet d’études cliniques. Le crédit médical des probiotiques est énorme, mais rappelons que, dans la législation française, les probiotiques sont soumis uniquement aux règles des compléments alimentaires.
Ainsi, la constipation, l’obésité, l’allergie alimentaire, l’intolérance au gluten, les dyslipidémies, le syndrome de l’intestin irritable et même la maladie de Crohn ou certaines épilepsies sont traités par un régime d’exclusion. Et avec l’émergence des recherches sur le microbiote et sur l’axe cerveau-intestin, des régimes seront volontiers proposés dans des pathologies neurologiques ou psychiatriques…
Pour mieux regarder vers l’avant, retenons ce que l’histoire de la médecine nous a enseigné.
Un “retour vers le futur” ?
Rappelons-nous du syndrome des “buveurs de lait”, ces patients ulcéreux qui étaient soulagés par la prise de lait et qui en devenaient hypercalcémiques tant ils avaient mal et avaient besoin d’être soulagés par un antalgique naturel… Avant l’apparition des anti-H2 et maintenant des IPP… Quel praticien prescrirait une alimentation lactée plutôt que des IPP dans le cadre d’un ulcère ?
Le diabète de type I était assorti de régime sans sucre drastique avant l’apparition de la pompe à insuline. La constipation, “rétention” de toute notre attention en pédiatrie, a longtemps été traitée en 1re ligne par des régimes riches en fibres (les fameux légumes verts garants de selles soyeuses !). Pourtant, les études cliniques ne montrent pas d’effet, avec désormais un “transit” de paradigme vers un régime normal à conseiller accompagné d’un laxatif osmotique [4]. Troquer les haricots verts par du polyéthylène glycol, faisons voter les enfants !
Combien de parents (et de médecins) ont martyrisé des enfants obèses, pourtant plus touchés par une génétique disgracieuse qu’une alimentation déviante, avec des régimes restrictifs ?
L’avènement prochain d’une molécule efficace contre l’obésité [5] permettra sans aucun doute d’inverser cette injustice génétique. Une gélule per os par jour pour maigrir de 30 %, faisons voter les enfants !
Les régimes d’éviction dans l’allergie alimentaire laissent de plus en plus place aux essais d’induction de tolérance. En effet, l’attitude préventive par l’ingestion de 10 mL de lait par semaine chez l’enfant allaité ayant été exposé pourrait diminuer l’allergie ultérieure [6].
L’intolérance au gluten bénéficiera très bientôt de l’utilisation d’endopeptidase à consommer per os avant le repas, qui permettra aux enfants cœliaques de manger du blé [7].
Oui, les traitements diététiques sont parfois efficaces, avec le CDED (Crohn’s Disease Exclusion Diet) dans la maladie de Crohn [8], le régime sans cholestérol dans les dyslipidémies, ou le régime sans FODMAP dans le syndrome de l’intestin irritable. Mais à quel prix ?
Dans le choix thérapeutique et la balance bénéfice-risque, l’impact négatif des régimes ne doit pas être sous-estimé. Des troubles sévères du comportement alimentaire ont été décrits après de tels régimes. Et outre, le progrès médical ne réside-t-il pas dans l’amélioration de la qualité de vie ?
Est-il plus contraignant de prendre un médicaments par la bouche ou de s’astreindre à un régime à long terme ?
N’est-il pas temps de mettre les régimes ”au régime sec” et de promouvoir la richesse de l’innovation thérapeutique médicamenteuse afin d’améliorer notre santé et notre qualité de vie ?
“Que ton alimentation soit ta meilleure médecine” (Hippocrate). Mais gardons la notion du plaisir de manger… L’hédonisme culinaire ne se conjugue-t-il pas avec le bonheur ? ●