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Regards croisés

Crise sanitaire du Covid-19 : retours d'expérience des IPA et des IEPA


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  • Pierrette Meury-Abraham, Tatiana Henriot, Sébastien Chapdaniel, Élodie Manzato, Gwen Goudard, Lise Mantisi, Barbara Gombert et Laurent Salsac ont été mobilisés en première ligne contre l'épidémie de Covid-19. Pierrette et Tatiana sont IPA depuis 1 an. Elles exercent en ambulatoire. Sébastien, Élodie, Gwen, Lise, Barbara et Laurent sont infirmiers étudiants en pratique avancée (IEPA). Début mars, au début de la crise sanitaire, ils étaient tous les 6 en stage IPA. Leur stage ayant été interrompu, ils ont repris leurs activités infirmières au plus fort de l'épidémie, tout en mettant en pratique les compétences acquises dans le cadre de leur formation universitaire. Voici leurs témoignages.

Contexte

Julie Devictor : La survenue de l'épidémie de Covid-19 a bouleversé l'organisation du système de soins. Comment cela s'est-il traduit concrètement dans votre travail ?

Pierrette Meury-Abraham : “J'exerce en ambulatoire, en Guadeloupe. Durant la semaine précédant le confinement puis les jours qui ont suivi, les recommandations diffusées à la population en cas de suspicion de Covid-19 étaient d'éviter de se rendre dans les cabinets de médecine générale. L'exercice en cabinet de soins primaires s'est trouvé fortement déstabilisé, tant en raison des mesures barrières à inventer selon les lieux et les professionnels y exerçant, que par le nombre de consultations en forte baisse. Certains cabinets se sont organisés en filtrant les patients par un accueil téléphonique préalable au rendez-vous sur place ou par télémédecine, d'autres ont laissé les lieux ouverts en aménageant un circuit ‘Covid' pour accueillir les patients suspects de Covid-19 en fonction de créneaux dédiés et/ou dans des salles réservées. Beaucoup de médecins généralistes ont prêté main forte aux structures médico­sociales (Ehpad, maisons d'accueil spécialisées, centres de confinement Covid), aux plateformes d'appel puis aux centres de dépistage du Covid. Une inquiétude est très vite apparue parmi les soignants : quelle continuité des soins et quelles décompensations pour les patients fragiles restés à domicile en raison de la désertification des cabinets ?”

Sébastien Chapdaniel : “J'exerce en ambulatoire en Occitanie. La population a pris la mesure de la gravité de l'épidémie lors du discours du président de la République française annonçant le confinement à compter du 17 mars. Pendant le confinement, la grande majorité des personnes fragiles (personnes âgées, jeunes enfants, nourrissons et patients immuno­déprimés) refusaient de se déplacer au centre médical. Le déploiement de la téléconsultation, du télésoin et du télésuivi s'est mis en place rapidement et efficacement. Les patients atteints de pathologies chroniques ont pu en bénéficier. Les visites à domicile ont été évitées au maximum, car les médecins et les soignants se sont retrouvés rapidement en rupture de stock de masques, de charlottes, de surblouses, de visières, de gants et gel hydroalcoolique.”

Élodie Manzato, Gwen Goudard et Lise Mantisi : “Nous exerçons dans le service de neurologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. La crise sanitaire que vit la France a très fortement touché les structures hospitalières, nécessitant une réorganisation de nos activités. L'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, un des hôpitaux référents pour le Covid-19, a accueilli dès le 20 mars des patients suspects de Covid-19 ou diagnostiqués positifs à cette maladie. Nous avons toutes les 3 ré­­intégré notre service d'origine.”

Tatiana Henriot : “J'exerce dans une maison de santé pluriprofessionnelle dans une zone rurale de l'Île-de-France. Face à la crise inédite du Covid-19, pour maintenir une offre de soins de qualité pour tous les patients dans ce contexte épidémique nouveau, j'ai déployé en tant qu'IPA de nouveaux modes d'organisation et développé de nombreuses missions transversales.”

Barbara Gombert et Laurent Salsac : “Nous exerçons en ambulatoire dans des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) près de Tours. Cette crise sanitaire a été un moment intense d'anticipation des soins primaires. Nous ne connaissions pas l'ampleur qu'allait prendre l'épidémie. Les professionnels des soins primaires ont été très réactifs. Le travail a été mutualisé afin de créer des tournées ‘Covid+'. Des centres Covid ont également été mis en place très rapidement pour que les professionnels de la santé ou le 15 puissent orienter sur rendez-vous des patients ayant des symptômes en lien avec le Covid-19.”

Missions principales et compétences mobilisées

J.D. : Dans ce contexte sanitaire sans précédent, quel a été votre apport en tant qu'IPA ou IEPA ?

P.M. : “Trois médecins généralistes avec des modes d'organisation différents m'ont demandé de prendre contact avec des patients fragiles, notamment ceux présentant un risque de décompensation de leur maladie chronique, les cas suspects de Covid-19 et les personnes après une hospitalisation. Le suivi que j'ai assuré a été réalisé essentiellement à distance (par téléphone ou via les applications WhatsApp, Zoom et Clickdoc). Tout suivi réalisé faisait l'objet d'une synthèse ajoutée aux dossiers médicaux des patients. Des informations générales sur la situation sanitaire étaient également diffusées sur un groupe WhatsApp accessible aux patients. Au total, 494 patients ont été contactés et 351 ont été suivis par un IPA. Mes principales actions ont consisté à expliquer les gestes de prévention aux patients fragiles afin d'éviter les risques d'exposition au virus, à vérifier l'observance et la disponibilité des traitements, à me soucier du vécu des patients pendant le confinement, à dépister les signes de décompensation ou de situations aiguës ou urgentes, à suivre les résultats des examens biologiques et des automesures, à répondre à des problèmes sociaux et à télésurveiller cliniquement les patients suspects de Covid-19. Des films et des supports de formation à distance ont été conçus pour une opération de prévention locale. Celle-ci s'est effectuée dans les entreprises et les collectivités locales. Ce projet, réalisé grâce au travail complémentaire d'une journaliste, d'un organisme de formation et d'une IPA, a pris la forme d'un module de 90 minutes accompagné de supports pédagogiques remis aux participants afin qu'ils relayent les consignes de prévention.”

B.G. : “Mon stage IPA s'est interrompu et j'ai repris mes fonctions d'IDEL. Cependant, la formation IPA m'a permis de réaliser les soins infirmiers tout en appliquant mes compétences cliniques en auscultation, en surveillance pulmonaire, en éducation thérapeutique. Je réalisais également de la veille documentaire chaque jour, ce qui m'a permis par exemple de diffuser des infographies aux IDEL du territoire sur l'habillage et la décontamination des véhicules en faisant une synthèse de la littérature.”

L.S. : “Avec la coordinatrice et la présidente de la CPTS, nous avons mis en place un projet de santé pour répondre aux besoins de la population. Nous avons constitué des binômes médecins-IDEL (IEPA) et médecins-kinés pour la prise en soin des patients dans les centres Covid. Le schéma d'accueil en cas d'arrivée massive de patients prévoyait que les IPA et les IEPA prennent en charge non seulement la sélection, mais aussi l'éducation à la santé.”

T.H. : “Je me suis très vite investie dans des missions transversales en plus du soin direct des patients. Nous avons développé des liens de collaboration étroits entre professionnels de la santé sur le territoire. Des réunions téléphoniques, en visioconférence et avec l'hôpital de référence, ont permis de faciliter les liens entre ville et hôpital en mettant en place des transmissions systématiques via un interlocuteur unique entre tous les acteurs de la santé du territoire pour les patients ayant un diagnostic de Covid-19. Nous échangions sur les dernières recommandations, les informations du ministère ou sur les problématiques d'accès aux équipements de protection individuelle (EPI). Afin d'améliorer la qualité des soins et les pratiques professionnelles, j'ai animé des réunions avec des collègues IDEL pour organiser des tournées spécifiques Covid+ distinctes des tournées dédiées aux patients fragiles. Je réalisais une veille documentaire et épidémiologique quotidienne. Les recommandations concernant les règles d'hygiène et les EPI étaient diffusées lors de réunions ou sur un groupe WhatsApp, créé afin de favoriser le lien entre IPA et IDEL. Cette crise sanitaire a obligé tous les professionnels de la santé à faire preuve d'une grande capacité d'adaptation. Nous avons développé des réseaux pour pallier le manque de matériel (couturières, bénévoles, entreprises). La solidarité de nos concitoyens a été formidable pour relayer nos besoins et y répondre quand cela leur était possible : fabrication de surblouses, de visières, de gel hydroalcoolique, etc.

L.M. : “En collaboration avec notre équipe d'encadrement, nous avons formé plus de 350 professionnels médicaux et paramédicaux, de jour comme de nuit, à l'habillage et au déshabillage, avant l'arrivée des premiers patients en secteur Covid+, l'objectif étant de protéger au maximum les soignants grâce aux moyens disponibles.”

E.M. : “Un centre d'appels a été créé afin de répondre aux questions des patients épileptiques concernant leurs traitements, les mesures barrières, et d'assurer le relais avec les neurologues référents des patients. J'ai participé à l'élaboration d'une fiche de recommandations pour les patients souffrant d'épilepsie.”

G.G. : “Mes missions en réanimation ont été de participer, en collaboration avec des médecins, à la rédaction de protocoles afin d'homogénéiser les pratiques des infirmiers et de permettre de sécuriser les soins dans un contexte où des soignants sont venus d'autres services, voire d'autres régions, et avaient des pratiques différentes. J'ai aussi été référente de protocoles de recherche.”

Conclusion

L'esprit d'initiative et les compétences développées au cours de la formation d'IPA dans les domaines de la clinique, du travail collaboratif, de la recherche, de l'éthique et de l'éducation des patients ont été particulièrement précieux lors de cette crise sanitaire (tableau).

Les IPA et IEPA ont participé, au sein des équipes de soins, à la réorganisation en urgence de leurs façons de travailler.

T.H. : “Les territoires se sont enrichis non par l'addition des compétences de chacun, mais surtout par la coordination, la collaboration et le partage de compétences ; c'est ce que nous a prouvé ce contexte inédit.”

S.C. : “La formation des IPA à la recherche bibliographique et à l'analyse critique des articles permet d'intégrer les données probantes issues de la littérature scientifique dans les pratiques des équipes de soins primaires. Par ailleurs, l'exercice isolé en soins primaires a montré ses limites. L'exercice coordonné au sein d'équipes de soins primaires (ESP), de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), de CPTS est bel et bien une nécessité.”

P.M. : “Dans une situation inédite survenue brutalement, les équipes ont su s'adapter pour répondre aux besoins des patients, tant dans l'organisation que dans la répartition des rôles et la coordination. La réactivité de l'IPA, qui a réinventé sa façon d'exercer en préservant la collaboration et la sécurité, est probablement liée aux compétences acquises lors de la formation et à son expertise infirmière. Une enquête de satisfaction a montré que le suivi assuré par les IPA a été très bien accueilli par les patients et mérite d'être reconduit si la situation devait se reproduire.”

S.C. : “Cette crise sanitaire a montré l'importance des actions de prévention et de dépistage. Il est absolument nécessaire pour les IPA d'accéder au premier recours, afin de fluidifier et de favoriser l'accès aux soins des patients et de rendre le système de santé plus efficace.”

L.S., B.G., L.M., E.M., G.G. : “Nous aurions trouvé intéressant de pouvoir suivre des patients chroniques stabilisés durant la crise sanitaire afin de pouvoir proposer un parcours de soins à d'autres patients que ceux ayant une symptomatologie aiguë. Cela aurait peut-être permis d'éviter que ces patients abandonnent leurs soins, en leur proposant un parcours sécurisé et rassurant. C'est un sujet sur lequel nous avons d'ailleurs travaillé en groupe dans le cadre de l'enseignement ‘parcours de soins' : Impact du confinement sur le parcours de soins des patients atteints de la maladie de Parkinson sous pompe d'apomorphine.”

P.M. : “Cette situation inédite a obligé les équipes à s'organiser en s'affranchissant de certaines contraintes. Les besoins des patients ont conduit les équipes à faire des choix en s'éloignant parfois du cadre légal. Le premier contact avec de nombreux patients a été effectué à distance, alors que les textes conventionnels n'en prévoyaient pas la possibilité. J'ai régulièrement été le premier recours de patients appelés pour une consultation de prévention, mais dont la situation se révélait aiguë, voire urgente. Ainsi, par exemple, grâce à la télésurveillance, j'ai pu repérer la dégradation de l'état de santé d'une patiente. Celle-ci a dû être hospitalisée en urgence et subir une intervention chirurgicale immédiate pour une occlusion causée par une volumineuse tumeur abdominale. Ce fut aussi le cas d'une personne isolée bénéficiant d'une télésurveillance, qui présentait des signes d'infection urinaire et a été hospitalisée pour un coma hyper­osmolaire à un stade précoce. Grâce à la relation établie avec des patients isolés et anxieux, j'ai pu repérer des signes évoquant un AVC et identifier des situations de décompensation psychique et dépressive. Le lien avec les infirmiers libéraux s'est renforcé. En étant présents sur le terrain, ils ont pu effectuer des prélèvements sanguins urgents, mais aussi prendre diverses mesures permettant d'évaluer plus précisément la gravité ou l'urgence d'une situation. Grâce à la confiance établie après quelques mois d'exercice commun, la coordination des binômes constitués a été fluide.”■


Tableau. Crise sanitaire Covid-19 et rôle de l’IPA : analyse SWOT.

ForcesFaiblesses
Formation universitaire de grade master : développement de compétences en recherche/veille documentaire (données qui évoluent chaque jour dans le cadre de la crise sanitaire)
Développement de compétences cliniques avancées : examens et entretiens cliniques, dépistages précoces de complications
Possibilité d’exercer en libéral et d’assurer le suivi des patients atteints
d’une pathologie chronique en soins primaires
Possibilité de prescrire en première intention chez les patients que l’on suit, des traitements symptomatiques non soumis à la prescription médicale (ex. : antipyrétiques)
Possibilité de prescrire des examens biologiques et radiologiques de surveillance
Pas d’accès direct à l’IPA pour le patient (premier recours)
Actions de prévention/promotion de la santé
peu valorisées/rémunérées en France
Activités de coordination/transmissions/diffusion de connaissances peu valorisées/rémunérées en France
Pratiques infirmières encore trop peu basées sur des données probantes
OpportunitésMenaces
Accès au premier recours comme dans les autres modèles internationaux où le champ d’autonomie est plus grand qu’en France
Développement de collaborations pluriprofessionnelles au sein des territoires
Développement des outils numériques pour le suivi des patients
Développement des théories de promotion de la santé dans la discipline infirmière
Manque d’équipements de protection individuelle
Lourdeurs administratives qui freinent les innovations/prises ­d’initiatives

Liens d'intérêt

J. Devictor déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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