RAPIDO ou PRODIGE 23 ? Avis d’experts
Eric François – Oncologue digestif, Centre Antoine-Lacassagne, Nice
“Les données de survie globale sont plutôt en faveur de PRODIGE 23 avec un gain brut de 3 % de survie à 3 ans versus moins de 1 % de différence dans RAPIDO. Des résultats plus matures pourraient faire pencher la balance entre les 2 études. Il y a significativement moins de patients métastatiques au bilan avant chirurgie dans PRODIGE 23. Il existe également une différence dans RAPIDO (4 versus 13 patients) sans que l’on sache si elle est significative. Ces données valident l’intérêt de l’ajout d’une chimiothérapie néoadjuvante quel que soit le schéma retenu (PRODIGE 23 ou RAPIDO), le choix devant être effectué en RCP et adapté au profil du patient.”
Laurent Mineur – Radiothérapeute et oncologue digestif, Institut Sainte-Catherine, Avignon
“Dans l’étude RAPIDO, le taux de récidive locale est plus important dans le bras expérimental ce qui efface peut-être le gain en survie globale mais ce n’était pas l’objectif principal. Pour la qualité de vie, le score de LARS a été analysé mais seulement pour 239 patients ce qui est inférieur au nombre de patients qui n’ont pas eu d’amputation ou de Hartmann. Un tiers des patients ont eu une amputation dans l'étude RAPIDO, c’est beaucoup. Nous n’avons pas encore les données pour PRODIGE 23.
Les 2 études ne sont peut-être pas tout à fait comparables et les 2 schémas sont défendables avec un peu plus de rechutes locales avec la radiothérapie courte de RAPIDO. Des données de qualité de vie à long terme sont nécessaires pour s’assurer de l’absence d’effet délétère à long terme des 2 schémas.
Les résultats de PRODIGE 23 confirment l’intérêt du virage pris depuis quelque temps avec une utilisation relativement large du FOLFIRINOX en néoadjuvant. Le fait que l’étude PRODIGE 23 ait été réalisée en France et que le FOLFIRINOX soit largement utilisé dans les études GRECCAR de conservation d’organe soutiennent clairement son utilisation par rapport au schéma RAPIDO. Les résultats de RAPIDO ne devraient pas changer les pratiques actuelles. De manière pragmatique, la radiothérapie courte est pour l’instant peu utilisée en France et mal valorisée, ce qui pose la question de la faisabilité en routine du schéma RAPIDO.”
Stéphane Benoist – Chirurgien digestif, hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre
“La radiochimiothérapie seule n’est plus le standard de la prise en charge des cancers du rectum localement avancés. L’ajout d’une chimiothérapie néoadjuvante dans ces 2 essais fait la différence et complète les résultats d’essais antérieurs Stockholm III [1] et Polish II [2]. Le taux d’amputation ou de Hartmann est particulièrement élevé dans RAPIDO, sans que l’on sache si cela est dû au protocole ou aux habitudes des pays ayant participé. Ce taux de non-conservation sphinctérienne a amélioré artificiellement le taux de morbidité postopératoire en s’affranchissant du risque de fistule.
Pour PRODIGE 23, des données complémentaires sont attendues : taux de résection R0 et R1, type de chirurgie dans les 2 bras. La stratégie radiothérapie courte puis chimiothérapie néoadjuvante de RAPIDO est tout de même associée à significativement plus de plaies du mésorectum, plus de pertes sanguines et une durée d’hospitalisation plus longue [3]. Ces résultats sont expliqués par le fait que la résection chirurgicale est plus difficile après un délai long. Il est à souligner que les 2 séquences thérapeutiques sont longues, 23 à 25 semaines pour RAPIDO et 28 à 29 semaines pour PRODIGE 23. Une désescalade thérapeutique, évaluée dans l’essai NORAD en cours, pourrait être envisagée pour les tumeurs T3 avec marge de résection circonférentielle non envahie.”
Florence Huguet – Radiothérapeute, hôpital Tenon, Paris
“Les résultats de survie sans maladie entre les 2 études sont relativement similaires avec des caractéristiques de patients un peu plus graves dans RAPIDO. Il n’existe pas de différence significative en survie globale dans les 2 études ce qui est un peu décevant. Les taux de réponse pathologique complète sont significativement augmentés dans les 2 études. Le nouveau standard est donc le total neoadjuvant treatment, surtout dans une perspective de préservation rectale, mais les modalités de traitement optimales restent à préciser. Les données de Polish II [2] CAO/ARO/AIO-12 [4] et OPRA [5] soutiennent plutôt une stratégie de radiothérapie première suivie d’une chimiothérapie de consolidation. Les modalités optimales de la radiothérapie et de la chimiothérapie restent à déterminer.”
Véronique Vendrely – Radiothérapeute, hôpital Haut-Lévêque, Bordeaux
“Les résultats de ces 2 études valident l’intérêt d’une chimiothérapie néoadjuvante.
La méthodologie de PRODIGE 23 est meilleure que celle de RAPIDO dans laquelle moins de la moitié des patients avec une résection R0-R1 ont reçu une chimiothérapie adjuvante, qui était laissée au libre choix du centre, alors que la majorité des tumeurs étaient T4 et/ou N2. Dans RAPIDO, il est difficile de savoir si l’augmentation de la réponse pathologique complète est liée au délai long après la radiothérapie courte et/ou à la chimiothérapie de consolidation. Pour PRODIGE 23, on attend une analyse par sous-groupes pour voir si le bénéfice est équivalent selon les stades T, N et l’envahissement de marge de résection circonférentielle.
La culture française reste encore très favorable à la radiochimiothérapie longue mais les résultats de ces 2 études vont rebattre les cartes avec des attitudes adaptées en fonction du profil du patient et de ses souhaits : FOLFOX au minimum en néoadjuvant pour les N+, FOLFIRINOX pour les grosses tumeurs, et la place de la radiothérapie courte mérite d’être rediscutée.”
Eric Rullier – Chirurgien digestif, hôpital Haut-Lévêque, Bordeaux
“Deux nouvelles options thérapeutiques ont été validées par RAPIDO et PRODIGE 23, mais il n’y a pour moi plus de standard “absolu” dans les cancers du rectum. Les priorités ont évolué au cours du temps et visent désormais à réduire le risque de récidive métastatique ou à améliorer la qualité de vie via la conservation d’organe. Un standard ne pourra sans doute pas répondre à ces 2 questions. Le choix doit être discuté avec le patient, et adapté à son profil car attention : ces stratégies ne sont possibles que chez des patients jeunes et en bon état général (moyenne d’âge de 62 ans ou moins dans les 3 essais RAPIDO, PRODIGE 23 et OPRA). Ces résultats ne s’appliquent donc pas à au moins la moitié des patients souffrant d'un cancer du rectum localement avancé.
Les résultats d’OPRA démontrent qu’une préservation d’organe est envisageable chez près de 1 patient sur 2. Pour celle-ci, la meilleure stratégie thérapeutique pourrait être de combiner les 2 approches en testant la chimiosensibilité par une chimiothérapie d’induction puis en réalisant une radiothérapie (quelle qu’en soit la modalité) avant d’administrer une chimiothérapie de consolidation pour augmenter le taux de réponse pathologique complète, en cas de patient cliniquement bon répondeur. Le groupe GRECCAR va poursuivre ses travaux visant à personnaliser la prise en charge en fonction de la réponse et optimiser les résultats oncologiques.”
Références
1. Erlandsson J, et al. Optimal fractionation of preoperative radiotherapy and timing to surgery for rectal cancer (Stockholm III): a multicentre, randomised, non-blinded, phase 3, non-inferiority trial. Lancet Oncol 2017;18:336-46.
2. Ciseł B et al. Long-course preoperative chemoradiation versus 5 × 5 Gy and consolidation chemotherapy for clinical T4 and fixed clinical T3 rectal cancer: long-term results of the randomized Polish II study. Ann Oncol 2019;30(8):1298-1303.
3. van der Valk MJM et al. Compliance and tolerability of short-course radiotherapy followed by preoperative chemotherapy and surgery for high-risk rectal cancer - Results of the international randomized RAPIDO trial. Radiother Oncol 2020;147:75-83.
4. Fokas E et al. Randomized phase II trial of chemoradiotherapy plus induction or consolidation chemotherapy as total neoadjuvant therapy for locally advanced rectal cancer: CAO/ARO/AIO-12. J Clin Oncol 2019;37(34):3212-22.
5. Garcia-Aguilar J et al. Preliminary results of the organ preservation of rectal adenocarcinoma (OPRA) trial. ASCO® 2020, abstr. 4008.