Syndrome de fragilité : un facteur de risque d’événements péjoratifs
La fragilité au sens médical est un syndrome clinique défini par une diminution de la résistance aux facteurs de stress résultant d’une accumulation de déficits physiques, psychologiques ou sociaux liés à l’âge ou à l’état de santé (1, 2). Dans une étude prospective, SA Guler et al. ont évalué son impact sur la survenue d’événements péjoratifs de santé au cours des pneumopathies interstitielles fibrosantes (2). L’étude a inclus 540 patients consécutifs (308 femmes et 232 hommes, âgés respectivement de 62,8 ans et 67,4 ans en moyenne), atteints d’une FPI (n = 100), d’une pneumopathie interstitielle associée à une sclérodermie systémique (n = 109) ou à une autre connectivite (n = 118), d’une pneumopathie d’hypersensibilité chronique (n = 47), d’un autre type de pneumopathie interstitielle (n = 39) ou d’une pneumopathie interstitielle inclassable (n = 127). La fragilité était mesurée à l’entrée dans l’étude puis au cours du suivi de routine, d’après une auto-évaluation par les patients de 42 déficits (19 comorbidités et 23 déficits concernant l’autonomie et les performances fonctionnelles), au moyen d’un index compris entre 0 et 1 en fonction du rapport entre le nombre d’items déficients et le nombre d’items évalués. Un sous-groupe de 189 patients consécutifs sélectionnés au hasard et ayant accepté la réalisation de prélèvements sanguins a en outre bénéficié d’une mesure de la longueur de leurs télomères leucocytaires pour détermination de l’âge biologique. L’impact de la fragilité a été analysé en termes de mortalité (critère principal composite tenant compte du délai jusqu’au décès ou jusqu’à la transplantation pulmonaire depuis la premièremesure de l’index de fragilité), de qualité de vie (questionnaire respiratoire de Saint-George), de nombre et de durée des hospitalisations non programmées, et de tolérance des traitements pour les 239 patients traités par antifibrosant ou immunosuppresseur (critères évalués dans les 6 mois suivant chaque mesure de l’index de fragilité).
Á l’inclusion, 42 % des hommes et 56 % des femmes ont été classés comme fragiles, du fait d’un index de fragilité > 0,21. Après ajustement sur le sexe, l’âge, l’existence d’une FPI, la CVF et la DLco, l’index de fragilité était significativement associé à la mortalité (HR = 1,02 ; IC95 : 1,00-1,04 ; p = 0,02), à l’altération de la qualité de vie (HR = 5,83 ; IC95 : 4,81-6,84 ; p < 0,0001), à la fréquence des hospitalisations toutes causes confondues (HR = 1,03 ; IC95 : 1,01-1,04 ; p < 0,0001) ou pour cause respiratoire (HR = 1,02 ; IC95 : 1,01-1,04 ; p = 0,02), et à la durée des hospitalisations (HR = 1,02 ; IC95 : 1,00-1,03 ; p = 0,009). Aucune association significative n’a en revanche été mise en évidence entre l’âge biologique et les événements péjoratifs évalués. Une analyse causale exploratoire a par ailleurs montré que la fragilité était un déterminant plus important que l’âge biologique de l’effet de l’âge chronologique sur la mortalité (53 % de l’effet versus 31 %) et la fréquence des hospitalisations toutes causes (43 % versus 22 %).
Quelles implications pour la pratique ?
De façon concordante avec un travail antérieur, l’étude montre que le syndrome de fragilité est très fréquent chez les patients atteints de pneumopathie interstitielle fibrosante, car il concerne environ la moitié d’entre eux (2, 3). Elle montre également, pour la première fois, que sa prise en compte peut apporter des informations pronostiques complémentaires de celles fournies par l’évaluation pronostique habituelle, réalisée notamment en fonction de l’intensité de la dyspnée, de la détérioration fonctionnelle respiratoire et de l’étendue de la fibrose au scanner thoracique (2, 4). Prévenir la fragilité, la repérer et, le cas échéant, la traiter, pourraient par conséquent constituer des mesures importantes pour la prise en charge des patients (2). Son repérage pourrait en particulier permettre d’identifier les patients trop fragiles pour supporter certains traitements médicamenteux ou certaines explorations invasives, ou ceux chez lesquels la mise en place de soins uniquement symptomatiques pourrait être plus appropriée que la poursuite de traitements spécifiques potentiellement délétères (2, 3). Dans l’état actuel des connaissances, des études sont néanmoins encore nécessaires pour confirmer l’utilité d’intégrer la fragilité aux algorithmes décisionnels concernant les pneumopathies interstitielles fibrosantes, ainsi que pour explorer dans ce contexte l’intérêt d’approches thérapeutiques ciblées sur le syndrome (2).
20-0276-06/2020 Boehringer Ingelheim France SAS
Références
1. Rolland Y et al. La fragilité de la personne âgée : un consensus bref de la Société française de gériatrie et gérontologie. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2011;9:397-90.
2. Guler SA et al. Functional ageing in fibrotic interstitial lung disease: the impact of frailty on adverse health outcomes. Eur Respir J 2020;55:1900647.
3. Milne KM et al. Frailty is common and strongly associated with dyspnea severity in fibrotic interstitial lung disease. Respirology 2017;22:728-34.
4. Cottin V et al. Recommandations pratiques pour le diagnostic et la prise en charge de la fibrose pulmonaire idiopathique – Actualisation 2017. Version longue. Rev Mal Respir 2017;34:900-68.