Qu’est-ce que le clinicien peut retenir de la transformation numérique du système de santé ? Entretien avec Dominique Pon, stratège de la transformation
Dominique Pon est directeur général de la clinique Pasteur de Toulouse et responsable stratégique de la transformation numérique en santé en tant que collaborateur du ministre des Solidarités et de la Santé. Découvrez son parcours et sa vision de l’e-santé en France.
- Quels sont les faits marquants de l’e-santé ces derniers mois pour le praticien connecté ? Commençons par la télésurveillance pour les patients atteints de maladies chroniques…
En cancérologie, la télésurveillance par des e-PRO (electronic-patient-reported outcomes) est particulièrement intéressante. Elle permet l’expression des résultats et des symptômes par le patient grâce à l’intermédiaire d’une application numérique. Cette télésurveillance est maintenant inscrite dans la stratégie décennale de l’Institut national du cancer et devient un standard de la qualité de prise en charge des patients souffrant de cancer à un stade avancé. Ce standard fait suite à nos travaux sur la détection de rechutes de cancers. Des actes médicaux seront proposés pour favoriser la prescription et l’usage des outils les plus performants et les plus fiables en 2022. Par ailleurs, ces outils seront prochainement validés et déployés à l’échelle européenne. Nous travaillons avec la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) sur la rédaction de recommandations pour les cancérologues, afin de leur permettre de proposer à leurs patients des outils adaptés et sécurisés.
- Parmi les solutions de télésurveillance disponibles, quels critères guideront le choix du praticien pour un logiciel d’e-PRO en cancérologie ?
Nous travaillons sur ce sujet avec les principales sociétés savantes européennes. Des recommandations destinées à guider le choix du médecin parmi les outils disponibles vont voir le jour. Un logiciel type de télésurveillance e-PRO en cancérologie devrait répondre à trois critères majeurs : la qualité, la validité clinique et la sécurité. Il existe des différences significatives entre les outils.
Le marquage CE de classe 2A* de ces dispositifs médicaux est un gage de qualité. Il est associé à une exigence importante en termes de sécurité des données, de sécurité des algorithmes et de gestion des risques. Nous voulons privilégier les éditeurs de logiciels contrôlés en Europe par un acteur européen. Cela nous permettra d’éviter les questions sur la destination finale des données.
La validité clinique est associée à l’usage d’algorithmes de détection de complications et de toxicité des traitements validés par des essais cliniques prospectifs, idéalement randomisés, et mis à jour en fonction des dernières données scientifiques. Les algorithmes peuvent devenir obsolètes après trois ou quatre années. Les logiciels “tout-en-un”, c’est-à-dire contenant dans une seule application des algorithmes validés de suivi des principaux cancers et des principaux traitements, seraient à privilégier par un établissement de santé. Cela éviterait d’avoir à utiliser plusieurs logiciels pour le suivi des patients. On n’imagine pas, chez un même patient, utiliser un logiciel pour le suivi d’un cancer, un second pour surveiller les effets indésirables des traitements, puis un troisième pour les soins de support. Le recours à trois applications ne ferait que compliquer le suivi de la maladie pour le patient comme pour son médecin. Les solutions logicielles qui utilisent des algorithmes “faits maison”, c’est-à-dire mis au point par les médecins ou les établissements eux-mêmes, seront probablement à proscrire s’ils ne sont pas évalués et validés cliniquement, car ils pourraient exposer les patients à des risques de faux négatifs et à des pertes de chances.
La sécurité des systèmes sera un élément majeur. Les éditeurs de logiciels ayant eu des défaillances graves sont à éviter ; ils figurent en général sur le portail de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM : https://ansm.sante.fr/informations-de-securite/).
- Qu’en est-il de l'usage des outils de l’e-santé par les praticiens ? Est-ce différent un an après le début de la pandémie au printemps 2020 ? Quelles sont les principales différences entre l’hôpital et la ville ?
Dans les hôpitaux, nous réalisons globalement plus de téléconsultations et de consultations téléphoniques qu’avant la première vague de l’épidémie survenue au printemps 2020. Nous avons pris et maintenu des habitudes qui évitent à des patients fragiles, habitant loin de l’hôpital, de se déplacer inutilement. Les différences entre l’hôpital et la ville portent essentiellement sur l’usage des outils de télésurveillance qui sont, pour l’instant, plutôt utilisés par les établissements hospitaliers, car il y a une organisation spécifique à mettre en place.
- L'Agence du numérique en santé (ANS) et la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) veulent accélérer le déploiement de l'identifiant national de santé (INS). Comment voyez-vous son entrée dans les habitudes en France ?
C’est un processus assez complexe mais qui est très important pour la suite du développement des outils de l’e-santé. La dynamique est très bien enclenchée, car de nombreux éditeurs sont prêts à adapter et développer leurs solutions, en les rendant compatibles avec cet INS.
L’INS devrait être largement adopté sur tout le territoire dans les mois et années à venir et favoriser l’interface avec le dossier médical partagé (DMP).
- En plus de votre travail de clinicien, vous enseignez l’e-santé. Quelles thématiques sont plébiscitées en 2021 ?
Les sujets les plus appréciés concernent les modalités de l’évaluation clinique des applications en matière d’e-santé, qu’il s’agisse de dispositifs médicaux ou non. Il est essentiel d’avoir cette culture et de mesurer le niveau de preuve de tels outils, dont la majorité ne fait hélas pas l’objet d’une évaluation clinique. L’autre point qui émerge dans les attentes est l’évaluation de la sécurité de ces outils, car les premiers incidents apparaissent, et la culture de la matériovigilance commence à faire l’objet d’un intérêt très soutenu. Un outil d’e-santé qui fonctionne correctement peut être bénéfique, mais s’il n’est pas fiable, il peut être à l’origine de pertes de chances...
* Pour en savoir plus concernant le marquage CE des dispositifs médicaux, le Pr Fabrice Denis recommande le Blog des dispositifs médicaux : https://www.qualitiso.com/marquage-ce-dispositif-medical/